Arsène Wenger: “Les jeunes savent qu’ils peuvent avoir leur chance ici. C’est l’une des plus grande force d’Arsenal.”

 

Le manager d’Arsenal a participé à un “questions-réponses” vendredi dernier devant un groupe d’investisseurs locaux en marge de la tournée asiatique du club. Le Français a tenu à souligner l’importance de la politique du club, à savoir recruter les meilleurs jeunes du globe et sur la façon d’en faire des joueurs de haut-niveau. Il a également donné son point de vue sur l’évolution des problèmes d’égos dans le football moderne et sur les ingrédients nécessaires selon lui pour constituer une équipe de vainqueurs.

 

Comment Arsenal parvient à dénicher les meilleurs talents dans un marché aussi compétitif et mondialisé?

L’une de nos forces, c’est que les jeunes joueurs savent qu’ils auront une chance ici. Mais il faut également qu’ils possèdent l’ambition nécessaire.

 

Mais de quelle ambition parlez-vous? Comment savoir si un joueur est ambitieux? Comment les maintenir motivés?

Et bien pour moi, une personne motivée est quelqu’un capable de rassembler les ressources nécessaires pour atteindre un objectif. Par exemple, ce matin je suis partir courir dans Saitama, mais je n’arrivais pas retrouver mon chemin. Je voulais retourner à l’hôtel mais je n’arrivais pas à retrouver le chemin. Et bien, je suis resté très motivé et peu à peu, j’ai retrouvé la route.

Et cela prouve quoi?

Cela démontre que la motivation est essentielle mais pas suffisante. Vous avez également besoin d’une certaine logique dans votre ambition et c’est également ce qu’on essaie de définir en chaque joueur. Selon moi, c’est une qualité sous-estimée. J’aurais très bien pu me dire: “Bon, je n’arrive pas à trouver le chemin du retour donc je vais voir si je peux prendre un taxi.” Mais parce que je suis un sportif, je n’ai pas choisi de chercher un taxi car je voulais vraiment retrouver mon chemin et ce, peut importe le temps que cela prendrait. Donc j’ai continué à courir. C’est ce que je veux dire lorsque je parle de logique de motivation, de la force d’ambition. Lorsque vous regardez les gens qui réussissent, vous vous rendez compte que ce ne sont pas des gens motivés mais qui possèdent une logique de construction. Vous trouverez plein de personnes qui commencent un régime le 1er janvier. Certains arrêtent mi-janvier, d’autres mi-juin et d’autres qui persévèrent. Nous sommes intéressés par ceux qui persévèrent car c’est ce qui fait un sportif accompli. Cela ne veut pas forcément dire que les sportifs accomplis sont des gens heureux, mais cela prouve qu’ils demeurent déterminés et qu’ils sont prêts à dépasser leurs limites pour réussir. C’est ce genre de joueur qui nous intéresse. Des gens qui sont très exigeants avec eux-mêmes et avec les autres depuis longtemps. Cette ambition caractérisée est applicable au football, au business et à tout autre chose de la vie.

Mais ou cherchez-vous ce genre de talent?

On cherche partout dans le monde. C’est aussi simple que cela. J’ai passé beaucoup de temps dans ce milieu et je pense toujours que c’est un petit miracle la façon avec laquelle ce sport s’est mondialisé aussi rapidement. Aujourd’hui, lorsque quelque chose se produit à Londres, ils sont au courant à Saitama dans la minute. Donc cela prouve qu’Arsenal est un club de dimension internationale et nous sommes intéressés par le talent du monde entier. Cette planète n’est pas si grande. Auparavant, un jeune garçon de Saitama n’avait aucune chance de devenir un joueur de classe internationale mais aujourd’hui, il en a la possibilité. Car s’il possède le talent et la détermination nécessaires, il peut avoir sa chance quelque part et c’est ce que nous essayons de faire. Nous essayons de dénicher des joueurs qui possèdent le talent et l’envie partout dans le monde mais malheureusement dans le football, il y a plus de place pour l’argent que pour le talent.

Comment parvenez-vous à nourrir un talent pour en faire un joueur de classe mondiale?

Je pense que l’une des meilleures choses du métier de manager est le fait de pouvoir influencer des vies de manière positive. C’est le principe basique du manager. Lorsque j’y parviens, j’en suis très heureux. Ce n’est pas la partie la plus importante de mon métier, qui consiste surtout à gagner le samedi après-midi mais cela reste une partie importante. Dans un monde ou il n’y en a que pour les stars, il est important de pouvoir dire aux joueurs: “Tu n’es pas encore une star mais tu peux le devenir et je vais te donner ta chance.”  A Arsenal, nous sommes fiers de le faire et nous nous sommes battus contre la politique d’engager uniquement des stars. Il faut savoir qu’une star fut à un moment donné un inconnu qui avait du talent. Nous voulons être le club qui peut donner une chance à ce garçon.

Vous travaillez avec des sportifs les mieux payés de la planète donc comment parvenez-vous à gérer les égos dans votre métier?

Vous me demandez si les égos sont importants? Oui. Vous devez savoir qu’une personne, toute star mondiale puisse-elle être, est prête a vous parler si cela sert à ses besoins. Pour lui, la condition première est de vous tester pour savoir si vous allez répondre à ses attentes. Si le manager est capable de faire de lui le joueur qu’il souhaite être. Malheureusement, dans le management, vous ne pouvez pas faire semblant trop longtemps. Lorsque vous avez un groupe de 30 joueurs, ils détectent très vite vos faiblesses. Donc le moment de vérité, c’est quand la personne est en face de vous. Elle vous observe et puis essaie de savoir si vous pouvez l’aider. S’ils pensent que vous êtes la personne qui peut les aider, ils vous respecterons. La prochaine étape pour eux est de savoir s’ils sont dans une équipe qui peut les aider à réussir. Nous avons rencontré ce problème lorsque nous traversions des restrictions financières. Pour certains joueurs, nous n’avions pas assez de stars pour réussir aussi vite qu’ils l’auraient souhaité. C’est évidemment un des nombreux problèmes auquel il faut faire face dans notre métier.

 

Est-ce que votre idée du football s’appuie uniquement sur les résultats sur le terrain?

Un manager est un guide. Il prend en charge un groupe de personnes et vous dit qu’il peut faire de ce groupe un succès et montrer la voie. Mais d’abord, il faut avoir une idée bien précise de ce que vous voulez. Il faut absolument avoir un concept précis et le rendre compréhensible afin que les joueurs travaillent avec vous et ce n’est pas évident. C’est pourquoi ce fut très intéressant pour moi de travailler au Japon car il faut rendre vos idées aussi claires que possible et savoir s’adapter aux chocs culturels. Et parfois, il faut savoir conserver ses propres idées en dépit des résultats du terrain.

Y a-t-il une différence entre le management footballistique et celui du business?

Pas vraiment. La seule différence, c’est que dans les affaires, la plupart du temps vous gérez des gens qui possèdent une certaine maturité. En football, vous gérez des personnes de 18, 19, 20 ans. Les responsabilités sont plutôt lourdes pour eux. On oublie que ces joueurs doivent être performants face à une énorme pression populaire, face à 60 000 personnes avec de réelles responsabilités afin de gagner les matchs. Je ne sais pas comment j’aurais pu affronter tout cela si j’avais 20 ans, si j’étais riche et reconnu mondialement. C’est compliqué à gérer. C’est la principale différence entre le management du football et des affaires. L’autre grosse différence est que vous pouvez travailler dans un bureau, être à 70% de votre potentiel et travailler correctement. Vous ne pouvez pas être à 70% de vos capacités et bien jouer lorsque vous êtes footballeur. Et c’est d’ailleurs ici que le bât blesse. Un joueur devenant plus faible peut vous couter un match et les joueurs le savent. C’est à partir de la que la pression commence à poindre. Chaque minute de chaque jour, un footballeur se teste, ce qui met son corps sous pression car vous savez que vous pouvez être performant dans un match uniquement en étant à 100%. Regardez le Tour de France. Chris Froome gagne mais il peut tout perdre en un jour, juste en passant une mauvaise journée au bureau. [Parallèle football/business ndlr] C’est ça le sport de haut niveau.

Y a-t-il un marché en Europe pour les joueurs japonais?

En tant que manager, c’est un rêve d’avoir un joueur japonais. Si vous lui dites de faire 10 tours de terrain, vous n’aurait même pas fini votre phrase qu’il aura déjà commencé à courir. En Europe il faut convaincre le joueur qu’il doit faire 10 tours de terrain.

Quels sont les ingrédients d’une équipe victorieuse?

Vous ne pouvez pas avoir de point faible. Il vous faut des joueurs sachant faire la différence. Il faut une équipe capable d’empêcher l’autre de marquer donc il vous faut un bon gardien et une bonne défense, de plus, il vous faut marquer. Vous avez besoin d’un joueur qui passe le ballon, un meneur de jeu, à un qui sait marquer, le buteur. Lorsque vous avez un joueur qui sait donner des passes décisives, vous avez toujours une chance de remporter les matchs. Le reste est basé sur le travail d’équipe et l’attitude.

Comment gérez-vous le fait d’avoir une équipe multiculturelle?

En créant une culture propre à nous-mêmes. J’ai vécu des saisons avec des joueurs de 18 pays différents. Par exemple, être à l’heure ne signifie pas la même chose pour un Japonais que pour un Français. Lorsqu’un Français arrive avec 5 minutes de retard, il pense qu’il est encore à l’heure. Au Japon, 5 minutes avant l’heure prévue, c’est trop tard. Cela signifie qu’il vous faut créer une nouvelle identité et savoir comment nous devons tous nous comporter afin de créer une culture à part entière. Ainsi, lorsque quelqu’un dépasse les limites, vous pouvez dire :”Attends mon ami, ce n’est pas ce qui était prévu.” Donc il est primordial d’avoir des règles établies que tout le monde accepte.

Avez-vous une méthode précise pour remonter le moral des troupes lorsqu’il est en berne?

Nous vivons dans une époque ou tout le monde vous dit ce que vous n’avez pas. La plupart du temps, je préfère faire attention a ce que mon équipe et mes joueurs possèdent. Personne ne possède toutes les qualités dans la vie mais ce qui est bon, c’est que nous pouvons tous réussir sans avoir toutes les qualités possibles. Les joueurs ne devraient pas oublier les qualités qui leur font défaut.

 

Dans les affaires, beaucoup de choses dépendent des objectifs personnels à atteindre et pénalisent souvent ceux qui ne remplissent pas ces objectifs. Qu’en pensez-vous?

La réussite dans la vie est un équilibre entre l’aboutissement personnel et le travail avec les autres. L’Occident est totalement focalisé sur la réussite personnelle, il vous faut réussir, peu importe la manière. Même si pour cela, il vous faut anéantir vos partenaires ou tricher un peu, l’important est de réussir sur le plan personnel quel que soit le prix. La culture japonaise est davantage basée sur le travail en équipe. Votre réussite est basée sur votre capacité à vous intégrer à l’état d’esprit collectif de votre entreprise. Et parfois, cela vire à l’excès car les performances individuelles sont totalement oubliées au profit d’une réussite collective. Mais en Europe, nous sommes à l’extrême, le sens du travail avec les autres a dramatiquement disparu. La satisfaction est un équilibre des deux notions. C’est ce que prouve une équipe sportive. Un bon footballeur devrait se sentir en mesure de s’exprimer mais également d’être utile au groupe. Si l’un des deux manque, il ne sera jamais heureux complètement. C’est la magie du sport collectif.

Comment gérez-vous ceux qui n’atteignent pas leurs objectifs?

S’ils sont contre-performants, notre plus grand pouvoir est de mettre le joueur sur la touche. L’une des grosses difficultés de ce travail est que nous avons 25 joueurs qui se battent pour jouer le samedi et que le vendredi soir, il y en a 14 qui ne jouent pas. Le lundi suivant, il faut leur dire :”C’est reparti, tu as une nouvelle chance.” C’est ce qui rend notre travail si difficile.

#Max (via dailymail.co.uk)


Publié

dans

par