Arsène Wenger : l’interview du retour, par James Benge

Arsène Wenger est de retour. L’homme qui a si souvent donné l’impression qu’il ne pourrait pas imaginer sa vie autrement qu’en entraînant une équipe de football semble aujourd’hui plus heureux qu’il ne l’a été ces dernières années, loin du chaos d’Arsenal.

Cela fait une année qu’Arsène Wenger se fait rare. L’homme qui a représenté l’un des plus grands règnes du football Anglais n’a qu’assez peu fait parler de lui depuis son départ d’Arsenal : on ne l’a aperçu que dans quelques cérémonies de remises de prix, galas de charité ou encore à BeIN Sports en tant que consultant. Wenger le manager semble parti pour avoir fait place à Wenger l’entrepreneur.

Cet Arsène Wenger semble plus à l’aise que celui que l’on a pu apercevoir durant ses dernières années du côté de l’Emirates. Maintenant il paraît comme libéré. Son retour a été incité par une entreprise de technologie dans laquelle il a suffisamment confiance pour investir une partie de sa fortune.

Wenger nous parle donc avec ferveur de PlayMaker, un nouveau système d’entraînement innovant qui permet de suivre les joueurs grâce à un tracker GPS placé sur leurs crampons, remplaçant les anciens (et imposants) capteurs placés sous les maillots. Arsène Wenger apparaît désormais un homme d’affaire convaincant, résolvant le mystère de ce qu’il ferait après son départ d’Arsenal.

“À l’origine, j’avais dit que je voudrais entraîner à nouveau tout de suite après mon départ. Mais une fois que j’ai quitté Arsenal, je me suis dit que ce serait une bonne chose de prendre un peu de distance”.

Arsène Wenger au lancement de son partenariat avec PlayMaker (photo : Woody Rankin)
              

“J’en suis venu à la conclusion que je voulais partager ce que j’avais appris durant ma vie. Parce vivre n’est vraiment utile que si à un moment donné vous partagez ce que vous savez.”

“Comment partager mon savoir ? J’aurais pu le partager en entraînant une autre équipe de football, ou trouver un nouveau moyen de le faire. Cette décision a été tranchée très vite.”

“Une façon de partager mon expérience a été ce partenariat avec PlayMaker, mais je l’ai aussi distillé à travers des conférences, des galas… c’est une nouvelle façon de vivre pour moi, mais le football reste ma passion.”

Il y a eu de nombreuses rumeurs d’offres faites à Arsène Wenger (Fulham, mais aussi des rumeurs venant de séléctions internationales ou de clubs plus exotiques), mais Wenger ne semble pas pressé de revenir à un poste d’entraîneur qui le solliciterait intensément au quotidien.

Quand il est parti d’Arsenal sans vraiment le vouloir au fond de lui, il était clair dans la tête d’Arsène Wenger qu’il reviendrait rapidement et que ce ne serait qu’une question de jours. Mais ces jours se sont transformés en mois, puis en une année, et maintenant la flamme qui brûlait dans le coeur de l’Alsacien semble calmée. Wenger a admis qu’il avait été intimidé par l’inconnu qui se dressait devant lui, mais qu’il avait finalement trouvé une forme de satisfaction dans cette demi-retraite.

“Je lis beaucoup, je fais beaucoup de sport, cela m’occupe au quotidien. Je voyage beaucoup également, j’assiste à beaucoup de match, de galas, et je participe à beaucoup de conférences, que ce soit sur le football, le management, la motivation, le sens de la vie… personnellement, je ne le connais toujours pas !”

“Je suis toujours un peu stressé, mais je me sens bien. C’est reposant de ne plus avoir à sacrifier des moments intéressants ou plaisants à cause de mes obligations d’entraîneur. J’ai découvert une nouvelle forme de liberté, et j’aime ce sentiment.”

“Quand j’ai quitté mon poste à Arsenal, j’étais dans le flou car je ne savais pas comment réagir à ce genre de situation. Je n’avais jamais écrit de CV dans toute ma vie alors que j’avais toujours travaillé. J’ai commencé à entraîner à 29 ans, et je ne me suis jamais arrêté jusqu’en 2018, soit 40 ans plus tard.”

 
Arsène Wenger durant son dernier match contre Huddersfield Town au John Smith Stadium le 13 mai 2018 (photo : Stuart MacFarlane)
               

“J’ai négligé beaucoup de personnes autour de moi durant mes années d’entraîneur. Maintenant que j’ai plus de temps libre pour eux, je me demande si ce serait une bonne idée de retourner au rythme de vie infernal qu’impose un poste d’entraîneur”

“Une fois que vous êtes dans le rythme de vie d’un entraîneur, il n’y a plus rien d’autre qui compte. C’est pour ça qu’après mon départ d’Arsenal j’ai voulu prendre du temps. Je me suis dit que j’allais prendre deux ou trois mois de repos… maintenant c’est difficile pour moi d’imaginer retourner à mon ancienne vie !”

Arsène Wenger n’est pas devenu le fantôme de l’Emirates comme a pu l’être Sir Alex Ferguson à Old Trafford après son départ de Manchester. Il n’a pas été aperçu une seule fois à l’Emirates cette saison et il admet également qu’il se refusera à toute expertise sur la façon dont évolue son ancienne équipe : une décision qui doit également satisfaire Unai Emery, qui n’a pas à subir la pression de son prédécesseur.

“Je suis toujours un supporter d’Arsenal et le resterait toujours. C’est mon club. J’ai donné ma vie à ce club, mais maintenant je veux essayer de faire autre chose de ma vie”.

“Aujourd’hui, je regarde toujours les matchs d’Arsenal comme un fan. Je suis heureux quand ils gagnent et triste quand ils ne jouent pas bien. Mais j’arrive à prendre de la distance avec cela.”

Plutôt que de devenir un critique d’Arsenal, il semble que Wenger préfère être un apôtre d’une approche plus scientifique du jeu. Cela n’est pas vraiment une surprise venant d’un homme qui a révolutionné le football Anglais avec ses nouvelles méthodes de suivi des joueurs, ce qui lui a permis de relancer plusieurs carrières dans les années 90. Aujourd’hui, c’est avec une autre approche que Wenger entend moderniser le football, grâce à un petit appareil intégré aux crampons des joueurs qui permettra d’analyser instantanément une multitude de statistiques, de la qualité de la première touche au nombre de sprints effectués+

“Je crois que la science nous aide à comprendre le monde. Réaliser des mesures objectives nous permet de nous améliorer quand c’est bien utilisé. Peut être que la prochaine étape sera d’intégrer une puce au cerveau des joueurs !”

“Ce qui est intéressant, c’est que vous pouvez tout mesurer avec ce système (PlayMaker). Au final, tout dépend de l’utilisation que vous en faites, mais il y a énormément de possibilités.”

La technologie développée par PlayMaker permet aux coachs de suivre les données d’un joueur grâce à un petit dispositif accroché aux crampons (photo : Woody Rankin)

“Avec ce système, vous pouvez analyser l’historique des performances d’un joueur, vous rendre compte de quel est son pied faible, voir si il manque d’endurance… ensuite vous pouvez analyser le présent, ses performances jour après jour. Et avec ça, vous pourrez commencer à lui fixer des objectifs et à réaliser des projections pour son futur. Vous avez tellement de données que vous pouvez mesurer tout ce que fait le joueur et le comparer avec un autre joueur équipé du même système.”

“En utilisant PlayMaker, vous pouvez aller voir votre joueur et lui dire : “Cet autre joueur qui joue à ton poste réussit à faire ça, ton objectif sera de faire aussi bien”. C’est un bon outil pour éduquer des joueurs qui n’ont pas les moyens d’avoir accès à un entraînement de très haut niveau.”

“Quand j’étais enfant, il n’y avait pas d’entraîneur pour les U19. Quand j’ai rencontré mon premier entraîneur, je l’ai tout de suite respecté car je savais ce que c’était de s’entraîner seul.”

Depuis ses débuts en tant que manager, Arsène Wenger a toujours été obsédé par la recherche de nouvelles technologies qu’il pourrait utiliser à son avantage, et ce dès la saison du titre de 1987/88 à Monaco.

“J’ai travaillé sur ordinateur pour mettre au point des critères d’évaluation de joueurs avec des amis. Nous avons travaillé jours et nuits pour réaliser ça.”

“C’était il y a plus de 20 ans. Depuis nous avons trouvé plein de moyens d’affiner les critères pour juger les joueurs, ce qui nous a permis de découvrir des joueurs qui n’étaient pas forcément très côtés mais sont devenus de très bons joueurs par la suite.”

Bien entendu, pour l’homme qui a passé ses dernières années dans le métier à lutter pour maintenir le modèle du manager tout-puissant, il n’est pas question de donner le pouvoir de décision à un petit comité d’experts de l’analyse. Arsène Wenger ajoute :

“J’insiste sur le fait que c’est au manager de prendre la bonne décision. L’analyse statistique peut être utile, mais si on ne s’était basé que sur des critères physiques pour décider quel joueur recruter, Messi ne serait jamais devenu professionnel.”

 “C’est là où le savoir, l’expérience et l’intuition entrent en jeu. Vous ne pouvez pas vous baser uniquement sur des données statistiques”.

“Parfois vous rencontrez des joueurs que vous ne voyez pas aller loin, mais vous vous rendez compte qu’ils travaillent dans l’ombre et se montrent très généreux sur le terrain pour compenser un manque de qualité dans d’autres secteurs. Par exemple, si on prend un joueur comme Gilberto Silva, on ne le voyait pas énormément dans un match, mais si vous vous penchez sur le travail qu’il abattait il apparaissait comme un joueur exceptionnel car il acceptait de réaliser un travail que personne d’autre ne voulait faire.”

Nous voici, peut être, dans l’ère post-Arsenal Wenger. Il n’est plus l’homme qui a dédié sa vie à un club de Premier League mais un sage qui distille ses conseils de management dans l’ombre, avec pour but de toujours faire avancer son sport. Une retraite au fond parfaite pour un homme qui a plus d’expériences à partager qu’il n’aura de temps dans toute sa vie pour les raconter.

Avant qu’il ne soit finalement pressé par un attaché de presse, j’aurais voulu lui parler de ses trophées, de la saison des invincibles, et de ce fameux livre qu’il écrira sans doute un jour. Auraient ensuite suivi les inévitables souvenirs de Colney, chargés d’émotion, quand je me rendais compte que j’étais en face de l’un des plus grand conteurs d’histoires de l’histoire du Football.

Arsène Wenger manque football Anglais, plus qu’on ne le réalise. C’est une bonne chose de le revoir en forme, que ce soit sur un banc ou ailleurs. Et c’est probablement ailleurs que s’écrira la suite du roman qu’est la vie de cet homme.

“J’ai adoré mon métier. Maintenant je fais d’autres choses, moins intenses, mais j’ai une meilleure perspective de ce qui se passe autour de moi. Maintenant, je constate les erreurs que font les managers et je peux me dire que je ne les ferais pas et n’en subirais pas les conséquences.”

#MerciArsène

#COYG

#AntoineL

Source : https://www.football.london/arsenal-fc/arsene-wenger-interview-life-only-16321195

 


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