Alicher Ousmanov «Pour l’instant, Arsenal ne semble pas avoir besoin de moi »

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Un crochet par son bureau de la Roubliovka, un quartier d’affaire cossu de Moscou, juste pour récupérer l’assistante du patron, et le chauffeur s’enfonce dans la banlieue ouest de la capitale russe. Il n’y a plus d’immeubles, juste des villas de plus en plus somptueuses. Enfin la voiture s’arrête devant un portail et un garde armé vérifie l’identité des passagers. C’est excessivement rare en effet qu’Alicher Ousmanov, l’homme le plus riche de Russie avec une fortune évaluée à 18,1 milliards de dollars, accorde une interview. Deux jours après sa réélection à la présidence de la Fédération internationale d’escrime (FIE), le 8 décembre 2012, il nous a pourtant accueillis chez lui. Après en avoir terminé avec Thierry Henry, son ami, invité à déjeuner, il divisera en russe pendant près d’une heure sur le sport, différenciant bien ses engagements de ses investissements financiers. S’agaçant franchement de certaines questions, truffant également ses réponses de mots français, révélant cette passion pour notre langue qui l’anime depuis qu’il est gamin. Quand il rêvait en lisant « Les Trois Mousquetaires » d’Alexandre Dumas.

(Ousmanov et le journaliste parlent un peu d’escrime avant d’en arriver à Arsenal…)

 Changeons de sport pour évoquer Arsenal, dont vous êtes l’un des actionnaires (il possède 29% des parts). Pourquoi avoir choisi ce club ?

AO : Parce qu’à la fin des années 90, c’était mon équipe préférée. Arsenal était le fruit de l’école française, grâce à son entraineur, avec une pléiade de joueurs brillants, mais avec une défense britannique et une attaque néerlandaise. A mon avis, cette équipe était du niveau actuel du collectif du FC. Barcelone. Cette équipe a montré de l’efficacité, grâce à la riche conception d’Arsène Wenger, un manager qui a cru au croisement de ces différentes formations. C’était imparable ! Ils étaient imbattables. Et c’est pourquoi je les ai choisis. Quand, au milieu des années 2000, j’ai eu l’opportunité d’acquérir des titres, de devenir l’un des principaux actionnaires du club, je n’ai même pas réfléchi. J’étais même prêt à en prendre le contrôle total. Ça n’a pas été possible parce que certains ont préféré profiter du business et créer à travers moi un ennemi extérieur. Je reste présenté comme un pirate, un ennemi. Ils ont gagné cette partie. Ils ont trouvé un autre acheteur (Stan Kroenke) et lui ont vendu la majorité des actions. Mais comme vous dites en français : « Qui vivra verra ».

Regrettez-vous cette situation, de ne pas avoir acheté toutes les actions d’entrée ?

AO : Pas plus que je ne regrette ces très belles actrices aujourd’hui décédées quand je regarde de vieux films. Il n’y a rien à faire. Je sais que la roue tournera. Ce que je veux dire, c’est que je souhaiterais être utile pour le club et je peux l’être. Je comprends bien le football,et je peux le prouver, mais je ne m’imposerai jamais. Pour l’instant, Arsenal ne semble pas avoir besoin de moi. Mais je reste persuadé qu’Arsenal devrait à chaque compétition n’avoir qu’un seul but : la première place et gagner. Toutes les autres théories ne sont qu’une hypocrisie qui couvre la faiblesse. Moi, je suis un homme fort. Si quelqu’un a besoin de mon aide, de mon argent, de mes connaissances, de tout ce que je possède, « je suis toujours prêt » (en francais).

Quelles sont vos relations avec Kroenke ?

AO : Aucune relation.

Que pensez-vous du travail de Wenger ?

AO : Arsène Wenger… (Il réfléchit longuement). J’en ai souvent parlé. Il est pour moi parmi les meilleurs entraineurs de football contemporain. Mais ce n’est pas simple pour lui. Tout dépend de l’exigence qu’il mettra et acceptera d’accoler à son nom, à sa personnalité, et quelle trace il veut laisser dans le football. Je pense qu’il mérite qu’on recrute à Arsenal, quand on en a besoin, les meilleurs joueurs et non qu’on se satisfasse de vendre les meilleurs éléments à nos adversaires. Dans ce cas, on peut alors tout lui demander. Mais aujourd’hui, il est sacrifié. A cause de la politique, et nous en sommes tous coupables. Tout est dans les mains de M. Kroenke, et je lui souhaite de réussir, même s’il ne suit pas mes idées. Parce que son succès sera le mien.

Voir les joueurs emblématiques d’Arsenal œuvrer pour des clubs adverses est une douleur pour vous ?

AO : C’est une tristesse. Ça ne peut pas être douloureux parce que ce sont des choix de personnes libres. Il n’y a rien de mauvais à vouloir gagner plus, je peux le comprendre. Maintenant, la grande performance de Wenger, sur l’ensemble de ces dix dernières années, c’est d’avoir créé deux équipes : celle qui aujourd’hui continue à jouer pour ses adversaires et celle qui, pour l’instant, tente d’être parmi les leaders de la Premier League. C’est pour cela que je ne cesse de dire qu’il ne suffit plus de flatter l’entraineur mais il faut lui donner la possibilité d’acheter les meilleurs, de super étoiles. Mais pas simplement des étoiles, juste celles que choisirait Wenger. C’est impensable que les actionnaires, reçoivent des rémunérations folles et que, en même temps, pour de petits articles dans un contrat, on perde des joueurs clés, des symboles comme Van Persie, Flamini ou Viera. On aurait dû augmenter leurs salaires dès qu’ils ont commencé à regarder ailleurs, à être courtisés. Je ne sais pas pourquoi on ne leur a pas proposé.

Peut-être pour un bénéfice immédiat ?

AO : Je ne voudrais pas irriter, me présenter comme un critique. Arsenal ne va pas bien, mais je ne veux pas être désagréable.

Pour vous, Thierry Henry n’aurait jamais dû quitter le club et il devrait y trouver un autre rôle que celui de joueur. Avez-vous le pouvoir de le faire revenir à Arsenal ?

AO : Je prends votre question comme une provocation (il s’agace). Je ne possède pas assez d’actions pour être décideur, je n’ai pas le contrôle total. Mais j’aime de nombreux footballeurs, je suis en contact avec certains. Et peut-être que mon préféré sur l’ensemble des dix ou quinze dernières années, c’est Thierry Henry. Lui me pousse à acheter la totalité des actions d’Arsenal. Mais je ne peux pas prévoir l’avenir, ça ne sert à rien.

Avez-vous songé à investir dans un autre club où vous seriez libre de décider ? Peut-être même ailleurs qu’en Angleterre ?

AO : Mais j’ai personnellement choisi Arsenal ! Ce n’était pas une question d’argent ou de prestige, c’est un choix dicté par mes émotions, celle que me procure ce club. Et la situation actuelle d’Arsenal reste encore un investissement intéressant.

Vous aviez aussi investi dans le Dynamo Moscou, n’est-ce pas ?

AO : Je l’ai juste aidé parce que j’étais fan du Dynamo dans mon enfance. Je sponsorise aussi le Zenith, d’autres clubs russes de hockey sur glace, de volley…

Quelle différence y a-t-il entre votre présence à Arsenal et à la Fédération internationale d’escrime ?

AO : L’escrime, ce n’est pas un investissement. J’ai été élu.

Vous n’êtes pas le seul homme d’affaires à avoir investi dans le sport, le football en particulier. Il y a Abramovitch à Chelsea…

AO : (il coupe). Je les connais tous : Abramovitch, Rybolovlev.

Comment expliquez-vous ce phénomène ? Pourquoi investir dans le sport, dont les systèmes économiques rapportent peu ?

AO : La question est très contradictoire. Comment peut-on dire qu’un club comme Manchester United, qui coûte un milliard et demi de dollars, ou Arsenal, près d’un milliard, ne rapporteraient rien ? Mais, ce qui est le plus important, pourquoi parlez-vous de phénomène ? Il n’y en a aucun. Je n’envisage pas comme un phénomène qu’un businessman, citoyen américain, achète un club anglais. Des Thaïlandais, des Chinois, des Indiens, des Coréens achètent aussi des clubs anglais de football. Et maintenant il y a aussi des actionnaires russes. (il s’agace) Je ne comprends pas. « Que cherchez-vous ? C’est la norme, plutôt ? » (en francais).

Une norme nouvelle, non ?

AO : Pourquoi ? Bernard Tapie a acheté Marseille il y a quarante ans (en fait, il y a 27 ans). Plus récemment, Robert Louis-Dreyfus est aussi devenu propriétaire de Marseille. Et le Qatar, c’est normal ?

Justement, on a le sentiment que les milliardaires russes et les émirs du Qatar se sont approprié le sport mondial…

AO : Ça ne veut rien dire. Chaque club possède son propre pouvoir. Et ses propres investissements. Paris et son club bénéficient de magnifiques investisseurs. C’est une image de petit bourgeois que vous me renvoyez. Vous me posez des questions du niveau de la « presse jaune » (la presse « tabloïd ») chez nous, alors que l’Equipe est un grand journal. Le Qatar est un petit pays qui a conquis récemment son indépendance et qui investit beaucoup depuis… où il veut. Et c’est la même chose pour la Russie (ton sec et définitif).

(via l’Equipe).


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