Arteta le coach, Mikel le grand frère : un duo très spécial

Arrivé il y a quelques mois seulement, Mikel Arteta a hérité d’un immense challenge pour son premier poste d’entraîneur principal. Jeune, ambitieux et très apprécié au club, l’ancien capitaine des Gunners mise sur une forte relation humaine avec ses joueurs pour relancer Arsenal.

« C’est quelqu’un qui comprend les joueurs et le club. Il a une stratégie claire sur ce qu’il attend sur le terrain. Il nous apprend plein de petites choses que nous ignorions avant et apporte ses propres stratégies, son style de jeu, sa manière de fonctionner […] pour essayer de ramener le club dans la bonne direction ». Ces paroles sont loin d’être anecdotiques. Elles le sont encore moins quand elles émanent d’un des jeunes qui a le plus bénéficié de l’arrivée de Mikel Arteta. D’ailleurs, c’est peut-être celui qui a le plus progressé comme il l’expliquait sur le site des Gunners. A l’instar d’autres de ses partenaires, Bukayo Saka s’inscrit pleinement dans ce projet global souhaité par l’Espagnol et son staff. 

Arsenal, en retard par rapport à d’autres clubs sur la formation des jeunes, tente de combler son retard (un podcast dédié à la formation des jeunes est à écouter ici). La focale a été et est encore mise sur la post-formation. Mais là encore, c’est un secteur où le club ne peut pas concurrencer tous ses adversaires en dépit d’un remodelage exhaustif du fonctionnement de l’Academy. Alors il convient d’adopter la bonne approche avec les jeunes à disposition pour « réanimer » l’ADN Arsenal quelque peu dévoyée ces derniers temps. Ainsi, reprenant les bases posées par Unai Emery, qu’il faut malgré tout mettre en avant sur ce point, puis de l’intérim de Freddie Ljungberg, Arteta n’a pas tergiversé. Depuis le premier jour, il affiche un soutien sans faille à sa jeune garde. Il n’a pas hésité à lancer Bukayo Saka à un poste où il n’avait aucune expérience après les blessures de Kieran Tierney et Sead Kolasinac. Il n’a pas non plus hésité à faire débuter Eddie Nketiah en lieu et place d’un Alexandre Lacazette en méforme, à parfaire l’immense potentiel de Gabriel Martinelli ou à continuer de compter sur Joe Willock et Reiss Nelson. « Il porte une grande attention aux déplacements et ne cesse de m’aider à améliorer mon jeu, pas seulement offensivement, défensivement aussi, expliquait le Brésilien dans le magazine FourFourTwo. Il est très pointu tactiquement. Ce n’est pas quelqu’un qui s’énerve, mais il te montre exactement ce qu’il faut faire. Il a un sens aigu des détails ».

Une proximité presque fraternelle 

Il est d’ailleurs plus que probable que cette appétence pour la jeunesse – les néo « baby Gunners » – ait pesé dans la balance lorsqu’il a été choisi. Arsenal n’ayant pas la puissance financière de ses rivaux pour rivaliser sur le marché des transferts, le fait de s’appuyer sur les talents au club est logique. Avec les plus que probables conséquences économiques du Covid-19, cet aspect devrait se retrouver encore davantage au centre de l’attention. Et là où Arsène Wenger était comme un deuxième père pour beaucoup de joueurs, l’ancien adjoint de Guardiola apparaît davantage comme un grand frère auquel on peut se confier, échanger sans gêne et écouter les nombreux conseils prodigués. 

Cette proximité, Arteta la cultive, et elle est favorisée par plusieurs points. En premier lieu, son âge. A 38 ans, il est l’entraîneur le plus jeune de Premier League et n’a arrêté sa carrière que récemment, en 2016. Puis, il y a son statut à Arsenal où il est resté cinq ans et où il est indéniablement resté dans les mémoires comme capitaine du club. Il le connaît parfaitement, ainsi que les valeurs qu’il doit véhiculer et ce style de jeu un peu perdu mais toujours si cher aux supporters. Des joueurs comme Bellerin, Chambers et Özil ont joué avec lui en équipe première, tandis que Nketiah, Nelson ou Maitland-Niles étaient chez les jeunes, et l’ont certainement côtoyé régulièrement. « C’était le premier à arriver à l’entraînement, jamais en retard et il faisait tout parfaitement. Sa discipline était irréelle », analyse Jack Wilshere dans une interview récente sur les réseaux sociaux. C’est également une histoire de pédagogie et d’approche humaine des événements qui ressort. Sur sa mise à l’écart, Lacazette expliquait : « Il m’a redonné confiance. Il demande beaucoup de choses. Je ne dirais pas qu’il est strict, mais il sait ce qu’il veut et quand ce n’est pas bien exécuté on se rend compte qu’on joue mal ». 

Boulot, boulot, boulot

Depuis le départ d’Arsène Wenger, les prérogatives de l’entraîneur ne sont pas aussi larges. Cependant, Arteta s’implique beaucoup et est, sans trop de surprise, au cœur de la vie du club. Dans The Independent, on pouvait lire qu’il était en constante communication avec ses troupes, sollicitant une interaction sociale allant de pair avec une forte base de travail. Car le confinement et l’arrêt des matches ne signifient pas le début des vacances, loin de là. Chacun s’est vu envoyer des analyses tactiques et des vidéos pour rester « stimulé ». Le coach lui-même indiquait que cette période permettait de mieux connaître les joueurs et d’enrichir une entente hors-terrain qui ne peut qu’être bénéfique sur le pré. « On essaie de faire en sorte qu’ils soient constamment occupés […]. Cette période m’a vraiment servi, au moins pour connaître mieux les joueurs. Nous essayons d’améliorer notre relation, notre communication et notre compréhension de chacun. Il faut essayer d’utiliser ce temps pour apprendre à se connaître, mais il faut aussi continuer de se développer professionnellement. Il y a plusieurs aspects que je veux améliorer mais c’est différent d’un joueur à un autre. Alors je prépare un plan pour chaque joueur. Je m’attache également à mettre l’accent sur leur comportement ». A en croire ESPN, l’Espagnol, que l’on connaît comme étant un bourreau de travail, aurait visualisé des dizaines d’heures de matches avec des vidéos collectives mais aussi individualisées. L’important est de veiller à la bonne santé psychologique des joueurs pour que chacun garde le moral. Et quoi de mieux que de les garder plonger dans leur métier, souvent une passion, le football, pour qu’ils restent au diapason.

Un personnage clé dans les baisses de salaire 

Arteta a également eu un rôle crucial dans les âpres négociations pour une baisse de salaire de l’effectif. Alors que beaucoup étaient réticents, The Athletic rapportait que l’ancien milieu de terrain avait réussi à convaincre la majorité après diverses discussions personnelles ainsi qu’une conférence vidéo avec tout le monde, avec pour ligne directrice un certain nombre de valeurs auxquelles il est attaché et la fierté de représenter Arsenal. Tout en sachant que, comme aime le rappeler Josh Kroenke, « Arsenal a une masse salariale de club de Ligue des champions pour une équipe qui joue l’Europa League » (elle se situerait autour de 230 millions de livres annuels).  

Après plusieurs jours de débat, tous les joueurs ont accepté de signer l’accord – une baisse salariale de 12.5% par mois pendant un an qui pourrait évoluer en cas de qualification pour la Ligue des champions – sauf trois, dont Mesut Özil. L’Allemand a demandé plus de clarté sur l’utilisation de l’argent économisé et finalement, qu’on lui expose quelle serait la stratégie du club à court et plus long-terme. L’agent de ce dernier détaillait les raisons de ce refus dans The Athletic et à demi-mot, mettait en cause l’implication d’Arteta. « Si un club demande à son entraîneur de négocier avec les joueurs, cela peut en influencer certains, surtout les plus jeunes qui pourraient craindre des répercussions personnelles s’ils ne donnent pas leur accord. Dans ces conditions, on pourrait questionner la validité du consentement des joueurs, s’il est réel et pas sous la pression ». Difficile d’imaginer une marginalisation d’Özil comme ce fut le cas sous Unai Emery, même malgré de potentiels désaccords. Surtout quand ceux-ci viennent publiquement de son conseil. Arteta fait son job, s’occupe de ses joueurs, transmet ses valeurs et garde le cap. S’il doit agir, ce sera en privé, et rapidement : il ne faut pas polluer sa « révolution ». « C’est toujours bien quand un coach te protège et parle ouvertement avec les joueurs. A chaque séance, on apprend beaucoup. Il sait parfaitement ce qu’il veut voir et c’est cette mentalité que je recherche également. Il veut de la discipline, du caractère et de la détermination », détaillait Granit Xhaka qui lui aussi a connu des heures plus sombres ces derniers mois. 

L’aspect humain, condition sine qua non de la compréhension tactique

Les joueurs ont repris l’entraînement en petit groupe après près de 7 semaines sans mettre les pieds à Colney, comme le précise Goal. L’occasion pour Arteta de reprendre sa transformation tactique drastique des mentalités. Et celle-ci s’accompagne en parallèle de tous les aspects psychologiques et sociaux mentionnés. Arteta cherche l’adhésion. Dans cette même interview publiée sur le site officiel du club, Bukayo Saka a eu cette déclaration surprenante : « Une chose que j’ai compris de suite est que quand tu n’es pas pressé, tu n’as pas besoin de faire une passe. Tu peux avancer un peu, attendre que quelqu’un se présente devant toi et à ce moment-là donner le ballon. Ce coéquipier sera alors libre et avec moins de pression. Il faut attirer des joueurs avant de lâcher le ballon ». Des principes qui semblent pourtant élémentaires mais qu’Arteta s’est engagé à inculquer aux joueurs. Si certains ajustements sont encore en phase expérimentale, il y a eu des signes clairs de progrès. 

Et des innovations, des choses que l’on n’avait pas vues avant : l’utilisation de l’arrière droit comme milieu central quand Xhaka est passé sur le flanc gauche, celle du Suisse comme troisième défenseur central ou arrière gauche, un système hybride en 2-3-5 (très variable) pour permettre d’attaquer à 4 ou 5 et d’avoir en même temps une certaine protection défensive… Les exemples ne manquent pas. Chaque joueur a ses « devoirs », analyse de matches, vidéos. Même pendant le confinement. Surtout pendant le confinement, en réalité. « Ils doivent trouver la solution. Ils doivent dire ce qui va ou pas, pourquoi ça s’est passé comme ça et ce qu’ils auraient pu faire en amont pour l’éviter. C’est souvent une histoire de communication, mais parfois de placement, d’orientation du corps. On évoque beaucoup de choses et les retours sont bons. Avec les jeunes, j’ai été très, très impressionné. Avec la technologie, c’est très facile [de savoir s’ils ont fait le boulot]. Ils doivent me faire un compte-rendu sur tout ! Ils ne peuvent y échapper, mais pour être honnête, ils ont été très sérieux », racontait Arteta. 

Un projet de long-terme

Et puis surtout, c’est une équipe revigorée qui joue les rencontres. Beaucoup plus d’entrain, d’énergie et de volonté de se donner au maximum. Que ce soit à la perte du ballon avec un pressing qui se veut cohérent et moins dans l’optique de « courir pour courir », ou dans les déplacements et les appels de balle. Ce sont les principes de jeu voulus par Arteta : être proactif, réagir immédiatement quand le cuir est perdu, se replacer rapidement, avoir des systèmes de compensation dans le cas où un joueur serait hors de position (typiquement les latéraux), se projeter rapidement vers l’avant grâce à des schémas de passes travaillés en amont etc. C’est une structure tactique globale. Il y a toujours des craintes, et l’éternel débat de savoir si l’entraîneur n’est pas trop ambitieux pour tenir cette approche, et si les joueurs ont le niveau suffisant. Depuis son arrivée, Arteta s’est appliqué à prouver que ses hommes étaient à la hauteur. Et toujours le triptyque : bonne entente relationnelle – confiance et adhésion des joueurs dans le style de jeu prôné – mise en application de la préparation tactique en match. Les résultats ne viendront pas du jour au lendemain, mais Arteta insiste sur la nécessité de cultiver une philosophie claire pour avancer. Sous Emery néanmoins, au départ, il y avait pléthore de points positifs, énormément de volonté et d’idées positives. L’ancien capitaine d’Arsenal sait qu’il doit constamment prouver sa valeur sur la durée, lui qui n’avait jamais été « head coach » avant décembre dernier.

Le choix d’Arteta s’est inscrit dans un projet de long-terme pour Arsenal. Avec un certain nombre de limites (économiques en premier lieu, en dépit de la fortune du propriétaire Stan Kroenke), l’objectif est de ramener le club sur le devant de la scène en s’appuyant très fortement sur un effectif jeune et un coach à la mentalité plus moderne. Mikel le grand frère n’a pour l’instant eu que quelques mois pour mettre en œuvre ses idées. Son ascension se retrouve désormais freinée par la brutale rupture du football et de la Premier League, mais l’Espagnol veille à tenir son rôle pour garantir cette continuité. Avec différents relais, au-dessus de lui – Raul Sanllehi, Edu ou Vinai Venkatesham – avec son staff, mais surtout avec ses joueurs. Et cette influence qui peut permettre à certains de compter dans la durée chez les Gunners, comme Bukayo Saka. En fin de contrat dans 18 mois (les discussions pour une prolongation sont en cours), il représente ce à quoi Arsenal aspire, à savoir une jeunesse prometteuse, guidé par un entraîneur qui comprend ses éventuelles problématiques, et qui est capable de lui redonner une vision (au sens anglo-saxon du terme) et un style. C’est un socle, un prérequis pour avancer. Mais la route est encore longue, très longue.

Article rédigé par Jeremy Docteur (@BackoTheDoc)


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