Cesc Fabregas: « Arsenal est dans mon cœur. J’aimerais y revenir un jour »

Sid Lowe est le correspondant britannique du Guardian à Madrid depuis 2001. Couvrant la Liga et le football espagnol, Il travaille aussi pour The Telegraph, Talksport ou encore FourFourTwo. C’est pour The Guardian que ce journaliste a rencontré Cesc Fabregas, hier milieu sensationnel d’Arsenal et aujourd’hui l’une des étoiles du FC Barcelone. Dans cette interview en deux parties, ici la première, le métronome espagnol se livre sur ses huit années passées en Angleterre et la relation exceptionnelle qu’il entretient avec un club qui a contribué à faire de lui le joueur qu’il est. Non sans donner son avis sur certains joueurs qu’il a longuement côtoyé et qui jouent un rôle majeur au club.

Excusez-moi, pouvez-vous me dire comment me rendre à la station Cesc Fabregas ? (NDLR : référence à l’action de la FA, pour les 150 ans de la fédération, qui a rebaptisé les stations de métro de Londres par des noms d’entraîneurs et de joueurs de Premier League)

Haha ! Quelle station est-ce déjà ? Crouch Hill ? Ce n’est pas loin de là où je vivais alors, Hampstead et avant cela Barnet et Enfield. J’ai vu la carte de métro des footballeurs ; je n’ai d’abord pas compris pourquoi ils avaient fait cela. C’est sympa de penser que j’ai laissé une marque. Je me suis toujours senti bienvenu ; il y a beaucoup d’affection, en particulier des fans d’Arsenal. Je pense même qu’ils m’ont compris quand je suis parti. Il n’y avait ni rancœur ni amertume. Ils ont compris que j’ avais tout donné pendant 8 ans, que j’avais atteint un point où je sentais que je ne pouvais pas donner plus, et que je suis parti pour des raisons personnelles: rentrer à la maison, être avec ma famille, jouer pour mon club, celui avec lequel j’ai joué étant enfant. C’était important pour moi de partir de la bonne façon. Rentrer était une option évidente, un choix facile…

Dimanche marque le 10ème anniversaire de vos débuts pour Arsenal. Vous aviez seulement 16 ans. Cela a du être difficile…
En fait, cela a été plus difficile de revenir à Barcelone à 24 ans que d’aller à Londres à 16 ans. Bien plus. Les gens disent que j’ai pris l’option simple : «il va jouer avec Messi, il va gagner.» Mais je pense que j’ai pris l’option difficile: Je dois travailler deux fois plus dur pour avoir ma place. J’ai toujours été très indépendant, je n’ai jamais été effrayé par les challenges et je n’avais rien à perdre quand je suis venu à Londres. Je jouais dans le système des jeunes à Barcelone, en Juvenil B, et bien que le Barça me tenait en bonne estime, Gerard Piqué et Léo Messi avait été promu en Juvenil A alors que je restais en Juvenil B. Arsenal m’a offert une chance de m’entraîner avec l’équipe première, d’apprendre l’anglais, d’expérimenter une autre culture, un autre football. Et j’y suis allé tellement déterminé à apprécier cela et apprendre ce cette expérience que c’était plus excitant qu’effrayant. Arsenal est un club fascinant. Les fans vous vouent un support inconditionnel. Je n’aurais pas pu aller dans un meilleur club.

Y retourneriez-vous ?

Arsenal est dans mon cœur et le sera toujours. Je ne sais pas si j’aurais l’opportunité d’y retourner et rejouer là bas un jour, ou peut-être après ma carrière de joueur. C’est un club qui sera toujours là, et qui ouvrira toujours ses portes pour moi. Ce club est comme une famille donc même si ce n’est pas dans un rôle de coach, je suis sûr qu’il me donnerait une chance de jouer un rôle. Sol Campbell y est maintenant. [NDLR : En tant qu’entraîneur chez les jeunes]. Arsenal aide beaucoup à former les coaches. Dennis Bergkamp est aussi allé là deux, trois fois par semaines pendant sa formation d’entraîneur. C’est un club charmant et il y aura peut-être une chance de faire quelque chose avec eux.

Cesc Fabregas a joué 303 matchs à Arsenal entre 2003 et 2011.
Cesc Fabregas a joué 303 matchs à Arsenal entre 2003 et 2011.

En tant que joueur, avez-vous appris des choses à Arsenal que vous n’auriez pas apprises à Barcelone ?

Je ne peux être sûr de ça mais ce que je sais maintenant c’est qu’à 16 ans, je m’entraînais avec Thierry Herny, Bergkamp, Pires et Vieira. A 17 ans j’avais joué 50 matchs, à 18 ans je jouais en finale de Ligue des champions, à 21 ans je jouais une finale de championnat d’Europe et deux ans plus tard une finale de Coupe du Monde. Cela a tout accéléré. Si j’étais resté au Barça, cela aurait été beaucoup plus lent. Cela a fait de moi un joueur plus complet dans tous les sens du terme. Me donner ma chance alors que je n’avais que 16 ans. Quand j’avais 18 ans, ils ont vendu Vieira pour que j’ai ma place dans l’équipe. Ils m’en ont parlé face à face, ils m’ont donné des responsabilités. Ils m’ont nommé capitaine quand j’avais 21 ans… Tellement de choses qui m’ont fait me sentir spécial dans cette équipe.

Le style vous a convenu ?

En terme de style, Arsenal est certainement l’équipe la plus proche de Barcelone: multiplier les passes avec beaucoup de touches de balle. Barcelone est unique et j’ai dû réapprendre des concepts quand je suis revenu, mais ces dernières années, Arsenal a joué le football le plus attractif d’Angleterre, divertissant les fans. Les gens appréciaient et apprécient de regarder Arsenal et je suis fier de ça. Les gens disent: «OK, ils n’ont rien gagner mais, wow, je donnerais de l’argent pour voir ces joueurs jouer !» Il y a d’autres équipes qui ont gagné plus – et je ne donne pas de noms – mais quand ils gagnent, les gens disent: «Bien ils ont gagné et voilà.» J’aurais toujours ce regret, cette tristesse de n’avoir rien gagné en étant capitaine. Pourquoi Arsenal n’a rien gagné ? C’est difficile… c’est difficile… c’est difficile… [Longue pause]. Je ne sais pas… Il y a beaucoup de choses ; il y a toujours eu quelque chose. Je me souviens par exemple, de la saison où Eduardo a eu sa terrible blessure. Cela a impacté tout le monde et c’est à partir de là que nous avons craqué. On a lutté avec Manchester United jusqu’au bout mais nous n’avons pas réussi à tenir. Nous étions toujours tout proche, mais il y avait toujours ce petit quelque chose qui nous empêchait de gagner. Vous êtes en haut du classement et quelqu’un se blesse, ou ceci ou cela arrive, ou vous entendez que quelqu’un veut partir… Je ne sais pas…

Y’avait-il un blocage psychologique ?

A la fin, oui. Eduardo se blesse et vous perdez la finale de la Coupe de la Ligue face à Birmingham, qui a après été relégué, et vous la perdez de cette manière (ndlr: mésentente grotesque entre Szcesny et Koscielny à la 89e qui profite à Martins dont le but offre la victoire à Birmingham)… Imaginez ! C’est dur de revenir, spécialement quand vous êtes jeunes. L’entraîneur nous a donné beaucoup de liberté, ce qui explique que les joueurs étaient si bons, pourquoi ils jouaient si bien, car ils n’étaient pas trop soumis à la pression. Mais quand des choses comme ça arrivent, c’est difficile.

Est-ce que l’entraîneur aurait dû demander une plus large responsabilité ? Est-ce qu’Arsène Wenger aurait dû être plus interventionniste ? 

Non ce n’est pas cela. Mais quand tout le monde est si jeune c’est difficile de trouver quelqu’un pour relever tout le monde et dire «Allez !» Aussi, car nous

Plus qu'une relation entraîneur-joueur lie Fabregas à Wenger. Le joueur du Barça considère le Français comme "son père."
Plus qu’une relation entraîneur-joueur lie Fabregas à Wenger. Le joueur du Barça considère le Français comme “son père.”

étions une très jeune équipe, il y avait toujours une idée de «prochaine fois», d’une autre chance. Les fans continuaient de chanter et de nous supporter, ce qui est génial mais quand je joue mal, je veux des critiques. Personne ne veut être sifflé, mais je voulais cette pression, cette demande. Nous avions souvent des rencontres entre équipiers et cela aidait mais il manquait de l’expérience. Nous avons souffert à cause de cela. Maintenant je pense qu’ils ont trouvé une bonne balance. Ils ont des joueurs avec beaucoup d’expérience comme Mertesacker, Arteta et Podolski.

Est-ce que le moment d’Arsenal est enfin arrivé ?

J’espère réellement que oui. Ils ont très bien commencé. Ils ont l’air très fort ; voyons comment cela dure. En Premier League, tout va très vite, tout peut très bien aller, et tout d’un coup vous perdez deux matchs et la descente commence. C’est très soudain. Beaucoup est décidé après Noël : les équipes qui restent en haut du tableau sont les meilleures, et celle qui peut résister le plus, gagnera le titre.

Est-ce que Mathieu Flamini peut faire une grande différence ?

Oui je pense, je le pense vraiment. Arsenal des joueurs qui jouent très bien, dont les mouvements sont bons, qui jouent un jeu différent de Milan et Mathieu interprète cela très bien. Il comprend le rôle du milieu défensif et il court quelque chose comme 13 kilomètres chaque match, un nombre incroyable. Je suis content qu’il soit de retour.

Comment voyez-vous la signature de Mesut Özil ?

C’est spectaculaire. Si vous avez la chance de signer Özil, vous ne pouvez pas la laisser passer. Il convient à Arsenal parfaitement. Cela ne fait rien si vous avez déjà sept ou huit joueurs avec le même style, car ils s’entendront parfaitement bien. Wilshere voit le football de la même manière, Ramsey, Cazorla, Rosicky… Le seul joueur qui est un peu différent est Walcott, mais vous avez aussi besoin de ce genre de joueur car à la fin d’un mouvement, après avoir enchaîné les passes, vous avez besoin d’un Pedro ou d’un Walcott, quelqu’un qui va chercher l’espace derrière les défenseurs, qui donne de la profondeur et remplir tous les espaces. Vous avez besoin d’un Walcott ou d’un Van Persie, dont les mouvements sont incroyables.

Est-ce que cela fait mal de voir Van Persie à United ?

Je ne dirais pas que «ça fait mal»

Mais est-ce que vous vous dites: «Arsenal aurait pu être tellement bon [avec lui]» ?

Il a toujours eu de la malchance avec les blessures. Je ne pense pas que j’ai pu profiter d’une saison ininterrompue avec lui. Quand je suis parti il a fait une saison incroyable, marquant 30, 35 buts. Si seulement nous l’avions toujours eu en forme, cela nous aurait aidé.

Est-ce qu’Özil peut apporter des buts ?

Je pense qu’il va apprécier cela énormément. Il est celui qui doit faire la différence dans les 30 derniers mètres. Sa dernière passe est brillante, il va avoir plus d’espaces et avec de l’espace il vous tue. Il va lui-même marquer plus de buts grâce à cet espace. Il n’y a personne meilleur que lui pour jouer ce rôle de numéro 10. En Angleterre, les adversaires vous suivent, mais si un joueur vient vers vous, c’est plus facile de faire un une-deux puis de passer derrière lui dans l’espace laissé. Dans un sens tactique, l’Espagne est beaucoup plus dure. C’est plus dur de marquer en Espagne qu’en Angleterre.

Pourtant la Premier League est dite plus dure que la Liga ?

C’est compliqué car en Angleterre c’est plus dur de gagner mais pourtant il est beaucoup plus facile de briller au niveau individuel. J’ai toujours pensé que le football anglais était le plus beau à regarder car il y a plus de buts, plus d’occasions, plus d’excitations. Mais maintenant je comprends pourquoi il y a plus de buts et d’occasions : c’est beaucoup plus fou, hors de contrôle, tout le monde attaque et pousse vers l’avant…Pourquoi ?Le public joue un rôle. Les fans qui grondent et le latéral qui monte devant et ensuite l’autre latéral qui monte et le bruit de la foule devient de plus en plus fort. Des fois en Angleterre c’est comme si vous n’avez pas le temps de penser, c’est plus une question de mental. C’est plus à propos de votre intuition, de l’atmosphère. Cela vous motive mais ça veut aussi dire que vous perdez le contrôle. En Espagne, les équipes travaillent beaucoup plus sur la forme, elles sont plus tactiques, plus positionnées. Si je regarde un match en Angleterre – Je ne manque aucun match d’Arsenal – je l’apprécie. Comme spectacle il n’y a rien de mieux. Le football anglais a cet aspect, mais il a aussi beaucoup de vertues.Etait-ce facile pour vous ?

Je ne dirais pas cela. Mais si nous parlons de quelqu’un comme Özil, c’est une question d’espace. Un footballeur hispanique dans le style, comme Silva ou Özil, s’ils ont deux secondes pour penser, verront la passe car il y aura de l’espace. Vous voyez des joueurs comme Silva en Angleterre et vous vous dites « Qu’est-ce qu’il est fort !» une seconde, un espace, et une passe. En Espagne, vous êtes contre un Mario Suarez ou un Gabi et quelle plaie ils sont ! En Espagne, réduire les espaces est important. En Angleterre, vous pouvez trouver les espaces si vous êtes bon. Xabi Alonso a dit au Guardian que savoir tacler n’est pas une qualité à laquelle il faut aspirer. Jack Wilshere a dit que tacler est un ingrédient clé du football anglais qui doit perdurer.

Est-ce que ces deux déclarations résument la différence ?

Je considère les deux points de vue. Je pense que celui de Xabi ne critique pas le tacle en soit mais le tacle en dernier ressort. C’est comme ça qu’on le voit en Espagne: les défenseurs ne se jettent pas facilement. En Angleterre, l’attaquant arrive et hop, le défenseur plonge rapidement dans ses pieds. En Espagne le défenseur reste sur ses pieds plus longtemps. Comme pour Jack, je pense qu’il parle de l’amour qu’ont les Anglais pour les tacles. Ils adorent cela ! Vous faites cela et les supporters sont derrière vous et ça intimide les adversaires. Mais il y a un joueur qui a joué dans les deux championnats et dont c’est la spécialité, c’est Javier Mascherano. Il tacle, mais se relève toujours avec le ballon. Il utilise beaucoup ce geste, mais pas en dernier recours, plutôt comme sa spécialité. Pour lui c’est une valeur sure et une qualité. Il est incroyable et très intelligent, il sait quand tacler, où se tenir. Il sait vraiment jouer au foot.

Jusqu’à quel point Ramsey et Wilshere peuvent-ils être bons?

Autant qu’ils le souhaitent. Ils ont de la qualité balle au pied et possèdent les qualités physiques. L’énergie de Ramsey est spectaculaire. Lui et Flamini sont les joueurs les plus endurants que j’ai pu voir, ils couvrent tout le terrain. Wilshere est un peu différent des joueurs Anglais habituels. Ce n’est pas un

Pour la première fois dans leur carrière, Wilshere et Ramsey peuvent porter très haut les ambitions d'Arsenal.
Pour la première fois dans leur carrière, Wilshere et Ramsey peuvent porter très haut les ambitions d’Arsenal.

Gerrard ou un Lampard, c’est davantage un joueur de passes courtes, un «tocador», un joueur de combinaisons. Ramsey fait partie de ceux que vous regardez et vous vous dites: «Il n’a pas de qualité spécifique mais il sait tout faire et d’une très belle manière.» Son touché de balle est bon, son mouvement également, maintenant il marque des buts, delivre des passes décisives. C’est un garçon qui, dans une équipe, est un monstre. Et qui plus est, maintenant il a la confiance et prend ses responsabilités.

Vous retrouvez-vous un peu un lui?

Parfois, je me remémore certaines choses lorsque j’étais capitaine, a propos des responsabilités que j’avais et je me dis: Comment un joueur comme Ramsey m’a percu? Je regarde la façon de jouer de Ramsey, il semble tellement libéré et je pense que j’ai entravé sa progression. Peut-être étais-je un obstacle. Parfois, vous avez besoin que quelqu’un parte pour déployer vos ailes et pouvoir dire: «Je suis la.» Je dis ça à propos de Ramsey à titre d’exemple, car le pauvre garçon a subi une grosse blessure aussi, j’aurais pu dire la même chose concernant Jack. C’est le concept que je développe, l’idée de pouvoir emerger. La progression sur le plan psychologique est tellement importante. Les deux joueurs possèdent un futur brillant.

 

Manchester United a du mal en ce moment, est-ce l’unique opportunité pour Arsenal d’enfin remporter le championnat?

Haha! Avec Manchester, il est toujours question d’une perte de vitesse, que la fin approche, que c’est fini…Et ils finissent toujours par faire taire les critiques. On ne peut pas leur faire confiance. J’ai débarqué en Angleterre il y a 10 ans et pendant ces dix années, les gens disaient: «Cette année, Manchester pourrait se planter.» Mais ce n’est jamais arrivé. C’est une bataille que j’ai abandonné il y a longtemps. Si quelqu’un me dit: «Manchester ne sera pas le même cette année», je réponds: «Non, non, non, Manchester sera sans aucun doute au rendez-vous.»

#Rodolphe et #Max (via The Guardian)

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