L’art du pressing par Mikel Arteta : Comment Arsenal gène les relances adverses ?

9 octobre dernier à l’Emirates Stadium. Arsenal – Liverpool. 57 secondes de jeu et Martinelli ouvre déjà le score. 40 secondes plus tôt, Alisson a le ballon et cherche à relancer court, mais aucune solution ne se dégage. Malgré quatre défenseurs de Liverpool face à trois attaquants d’Arsenal, tous les joueurs proches de lui sont pris. Ce choix tactique perdurera tout au long du match et va donner la nouvelle tendance d’Arsenal dans sa disposition lors des relances de l’équipe adverse depuis son gardien.

Le pressing dès la relance du gardien adverse sur un six mètres ou sur une passe courte est une des armes utilisée par les hommes de Mikel Arteta afin de dominer leur adversaire en lui imposant une pression spatio-temporelle dès sa relance de jeu. Celui-ci doit le mettre à mal en le forçant à prendre un risque ou à écarter le danger d’une possible perte de balle proche de son but en dégageant le ballon pour faire remonter son bloc équipe. Les objectifs de ce pressing sont très clairs et simples : récupérer le ballon et si possible haut.

Véritable œuvre collective, la pression haute repose sur un état d’esprit, une coordination effective ainsi que sur une mise en place préalable permettant sa réussite.

Avant le match contre Liverpool

Jusqu’à ce match face à Liverpool, Arsenal faisait un choix assez classique de presser avec une première ligne composée des trois attaquants (Martinelli, Jesus et Saka). Ainsi, un adversaire disposant de quatre défenseurs (souvent les joueurs recherchés sur les relances courtes du gardien) se trouvait en supériorité numérique pour sortir de la pression des Gunners. Il fallait alors une erreur de celui-ci ou un duel remporté par un de nos joueurs afin de tirer avantage d’un pressing aussi haut.

Exemple tiré du match contre Fulham (victoire 2-1) en début de saison.

Jesus vient cadrer le défenseur central gauche adverse de telle sorte que celui-ci n’a plus comme option que d’avancer balle au pied ou de chercher une passe vers l’avant.

Ici, l’objectif, notamment de l’attaquant central, est de faire en sorte qu’un des deux centraux n’ait plus comme option de jouer pour son gardien en retrait, ou pour son collègue de l’axe. Ainsi, il est forcé, soit d’avancer balle au pied et d’être une cible d’un duel, de jouer pour son latéral, pris par un de nos ailiers, vers l’avant pour un joueur sans doute dos au jeu, ou finalement de dégager loin le ballon.

Presser en sous-nombre a comme avantage de ne pas se découvrir derrière, en ayant toujours un joueur de plus que l’adversaire en défense.

Comme inconvénient, cette disposition peut permettre à un adversaire (de qualité), de profiter de cet espace/temps laissé pour initier une phase de construction et de danger pour notre équipe. À partir du match contre Liverpool, Arsenal va opérer un changement dans sa manière de presser l’adversaire lors de ces relances courtes. C’est sur cette mise en place préalable, c’est-à-dire les choix opérés par Mikel Arteta pour contrecarrer le sortie de balle adverse, que nous allons nous attarder.

À dire vrai, cette mise en place au pressing a déjà été utilisée lors du match contre Aston Villa. White n’ayant parfois pas d’adversaire direct à prendre au marquage, celui-ci se ré-axant lors des six mètres adverses, il se permettait parfois de monter légèrement, Saka s’occupant du défenseur central gauche adverse. Néanmoins, c’est bel et bien à partir du match contre Liverpool qu’Arsenal va utiliser cette mise en place plus régulièrement et sur toute la durée d’un match.


À partir du match contre Liverpool

Généralement, les équipes disposées en 4-3-3 souhaitant avoir un joueur qui marque chaque défenseur adverse vont décider de faire monter un de leurs milieux sur un défenseur central adverse, et ainsi se retrouver dans une sorte de 4-2-4.

Exemple ici avec Odegaard qui vient presser Martinez.

Arsenal a décidé cependant de prendre une autre approche.

En effet, pour palier ce sous-nombre pouvant faciliter la relance et la progression de l’adversaire, il est demandé au latéral droit (généralement White) de monter sur le latéral gauche adverse. Ainsi se forme une première ligne de pression composée de Martinelli, Jesus/Nketiah, Saka et White.

Cette première ligne de pression est suivie par celle formée par nos milieux de terrain, étant généralement chacun en marquage individuel sur les milieux de terrain adverses.

Dégagement du gardien de Brighton, la caméra se décale vers la droite et permet de voir le marquage individuel de nos milieux sur ceux adverses.

Concernant notre ligne défensive, Saliba se trouve chargé de couvrir la montée de White en prenant sa place et en marquant l’ailier gauche adverse, Gabriel restant dans l’axe pour s’occuper de l’attaquant.

Chacun de nos joueurs ayant un joueur adverse à marquer, on retrouve un marquage individuel où les joueurs n’hésitent pas à suivre leur adversaire direct, décrochant assez loin de leur zone prévue par le système de jeu (considéré comme cadre de référence des positions de chacun en phase défensive notamment) afin d’éviter une situation où un adversaire serait libre. Ainsi, il n’est pas rare de voir un de nos milieux de terrain éloigné de sa zone de prédilection pour suivre son vis-à-vis, ou un de nos défenseurs centraux suivre l’attaquant central qui décroche.

Exemple 1

Exemple 2

Exemple 3

Une telle approche s’avère audacieuse, voire risquée, mettant en place des duels en un contre un partout sur le terrain. Pourtant, c’est bien une force collective qui parvient à se dégager des Gunners lors de ces situations de jeu, via la coordination des mouvements et la capacité des joueurs à ne pas se livrer bêtement pour se faire effacer et créer une brèche dans le pressing. D’un autre côté, cette mise en place permet une certaine clarté pour les joueurs, tous sachant quel joueur ils ont à prendre.

Comme dit plus haut, ce choix d’un tel pressing à la relance adverse nécessite un certain état d’esprit chez les joueurs, notamment transmis par l’entraîneur. Reste néanmoins qu’il est nécessaire d’avoir chez les joueurs certaines qualités de déplacement et d’intelligence afin de ne pas forcément chercher à récupérer le ballon de manière individuelle via un duel physique, mais à permettre la mise en place d’une situation facilitant une récupération collective du ballon (dans les pieds adverses, sur le temps de passe ou par le dégagement en touche de l’adversaire).

Arteta dispose dans son onze type des joueurs mêlant des capacités de déplacement pour rapidement mettre sous pression l’adversaire et pouvoir le suivre dans ses mouvements (Martinelli, Odegaard, Jesus) et de joueurs pouvant s’imposer physiquement pour mettre à mal le jeu de relance adverse (Partey, Xhaka, Gabriel), convenant parfaitement à une telle stratégie.

Évidement, tout choix tactique ne peut comporter que des avantages. Ici, le moindre duel perdu avec un adversaire gardant la maîtrise de la balle et éliminant un de nos joueurs va obliger un partenaire à lâcher son adversaire direct afin de gêner l’avancée du porteur de balle, le temps que notre bloc équipe se reconstitue (Arsenal se disposant généralement en 4-5-1 dans son camp sans la ballon, White retrouvant la ligne défensive). De plus, l’erreur d’un de nos joueurs en défense serait d’autant plus préjudiciable puisque étant en marquage individuel, sans défenseur en plus dans un rôle de couverture. 

Illustration du risque du fait de l’absence de surnombre en défense avec Holding manquant son interception et n’étant pas couvert pas son compère
de l’axe, Gabriel, se replaçant après avoir pris Mahrez au marquage pour couvrir la montée de Tierney au pressing.

L’exemple du match contre Liverpool

Le match contre Liverpool marque un tournant dans la mise en place tactique à la relance adverse d’Arsenal. À la suite de celui-ci, les Gunners vont utiliser cette disposition assez régulièrement face à des formations jouant à quatre derrière. Le premier but mentionné en introduction est une parfaite illustration du pressing employé par Arsenal.

Ainsi, on voit qu’aucun joueur de Liverpool n’est disponible, si ce n’est pour jouer en appui, afin de faire progresser le jeu. Thiago, en particulier, fait l’objet d’une attention toute particulière, Odegaard et Saka se partageant tout au long du match son marquage lors des relances de la défense des hommes de Jurgen Klopp. Ce schéma va inlassablement se répéter, cinq fois lors des 10 premières minutes du match, avec à chaque fois un dégagement et une perte de balle pour Liverpool.

Un tel pressing va alors devenir de plus en plus récurrent, Arsenal affrontant de nombreuses équipes évoluant à quatre derrière. On va alors le voir face à Southampton, Wolverhampton, West Ham, Brighton, Newcastle et Manchester United. À noter que dans les matchs contre Brighton et West Ham, charge à notre latéral gauche (Zinchenko ou Tierney) de monter presser le latéral droit adverse. L’idée n’est même pas encore poussée à son paroxysme avec un marquage individuel total et ce n’est même pas la première fois qu’Arsenal utilise une telle arme. Pour autant, ce match est clé dans ce qu’il renvoie.

C’est la première fois qu’Arsenal va utiliser ce pressing sur toute la durée d’un match, face à une équipe comme Liverpool de plus. Le risque est assumé, maîtrisé et la volonté de gêner l’adversaire dès le départ de sa construction de jeu est nette, peu importe son statut.

L’adaptation lors du match contre Manchester City

Contre Manchester City, il est intéressant de noter qu’Arsenal s’est retrouvé confronté à son propre “piège”. En effet, Guardiola et ses hommes ont fait le choix d’opter pour l’organisation décrite plus haut en faisant monter Lewis sur Tierney et en basculant Stones sur Trossard.

Malgré la mise au repos de certains cadres, l’idée de presser telle qu’exposée dans cet article reste la même, avec cette fois-ci la montée, non pas de notre latéral droit, mais de notre latéral gauche, Tierney. Cependant, l’équipe va devoir s’adapter à un nouveau problème : les dézonages de Rico Lewis. Celui-ci se réaxant lors des relances de City, se pose une question dans le dispositif de pression d’Arsenal et la volonté que chaque joueur ait un adversaire précis à prendre : qui doit le marquer ?

Se trouvant assez bas, cela ferait monter énormément Tierney. Ainsi va se mettre en place le choix de Xhaka pour le prendre et bloquer cette option de passe. Mais par effet de cascade, qui doit alors prendre De Bruyne ?

Nos milieux de terrain sont censés prendre leurs homologues adverses au marquage, ce qui est rendu simple lorsque l’équipe en face joue elle aussi avec trois milieux. Ici, théoriquement, Vieira doit marquer Rodri, Xhaka doit prendre De Bruyne, et Partey s’occuper de Gundogan. Or, avec le problème posé par les mouvements de Lewis et le choix de faire sortir Xhaka dessus, il est nécessaire désormais de se demander comment faire pour que De Bruyne ne se retrouve pas libre et soit une option aisée de passe pour ses coéquipiers (comme en début de match, le temps que se décide qui vient le prendre).

3ème minute de jeu. Ici, Partey se retrouve entre Gundogan et De Bruyne sans savoir qui réellement prendre. Xhaka monte déjà sur Lewis et Vieira s’occupe de marquer Rodri.


2 réponses vont être apportées par Arteta :

– Soit Tierney est désigné pour prendre De Bruyne. Mahrez, adversaire direct dans la zone de Tierney est alors pris par Gabriel.

– Soit Gabriel monte sur De Bruyne et Tierney reste au marquage de Mahrez.



L’idée reste ainsi de presser de cette manière à la relance adverse, peu importe les problèmes nouveaux proposés par l’adversaire afin de gêner Arsenal. De même, cela met en avant la capacité d’adaptation de l’équipe dans ses choix en plein match. Arsenal parviendra alors à gêner considérablement la relance des Cityzens, Guardiola évoquant même dans une interview d’après-match ce point en parlant d’un marquage man-to-man de l’équipe son ex-adjoint, et la difficulté de trouver un joueur libre à la relance.

Cela évoque clairement une détermination de la part du staff des Gunners, une croyance dans la capacité des joueurs et de l’équipe d’assumer un tel style sur la
durée et que le rapport bénéfice-risque soit le meilleur possible.

Conclusion

Avec 9,6 récupérations hautes (High turnovers) en moyenne par match (2ème meilleure moyenne du championnat), on peut affirmer une certaine réussite dans la capacité d’Arsenal à venir presser et récupérer le ballon dès la zone de relance adverse.

Néanmoins, un pressing réussi ne saurait se mesurer simplement par le nombre de ballons récupérés. Une mise à mal de l’équipe adverse dans sa préparation du jeu et forcée finalement à dégager le ballon en touche est également une preuve d’une pression efficace. La statistique du Buildup disruption percentage est faite pour cela, et positionne Arsenal à la 5ème place en Premier League.

Tout ceci montre statistiquement la tendance et la réussite d’Arsenal dans son pressing à la relance adverse via les choix de Mikel Arteta. Cette volonté d’être pro-actif et de chercher à provoquer le destin (ou l’erreur de l’adversaire, c’est selon le point de vue) est positive. Il est au combien plaisant de voir une équipe d’Arsenal autant joueuse et se voulant dominatrice aussi bien offensivement que défensivement.

Cependant, comme dit plus haut, un tel choix dans le modèle de jeu s’avère courageux, donc risqué et épuisant à long-terme. Tâche aux joueurs de parvenir à conserver cette volonté dans le jeu, leur garantissant pour le moment de nombreux succès.

Nicolas

 

 


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