Les Kroenke partie 2/2


Suite et fin de l’article.

Le problème de l’année 2018, d’après plusieurs membres du club, a été la quantité de changements au sein du club. Le départ de Wenger a provoqué un mini-séisme, mais les Kroenke n’avaient vraisemblablement pas anticipé le départ d’Ivan Gazidis pour l’AC Milan. Le fonctionnement des Kroenke est basé sur la confiance, et en l’espace de quelques mois, ils ont perdu deux hommes de toute confiance.

Suite au départ de Gazidis, les propriétaires du club ont suivi ses recommandations, et ont embauché Raul Sanllehi et Vinai Venkatesham, respectivement aux postes de directeur du football et de directeur général. Bien que certains aient pu questionner ces choix, d’autres les comprennent très bien : ” Je ne pense pas que j’aurais procédé différemment ” déclarera un officiel de Premier League, anonyme. “C’est si dur de trouver des gens compétents dans le football. Si vous êtes un fabricant d’électronique par exemple, il y a un paquet de personnes qui peuvent devenir PDG de votre entreprise, trouver la bonne est facile. En football, cela n’existe pas. Écouter les conseils de Gazidis, quelqu’un de confiance, est loin d’être une idée folle.”

C’est également cette année là que le rachat total du club par les Kroenke s’est finalisé. Arsenal était enfin le club des Kroenke, à part entière.

Malheureusement pour le club et ses nouveaux propriétaires, la saison 2018-2019 fût décevante. L’équipe emmenée par Unai Emery a tergiversé en Premier League, n’arrivant pas à se qualifier pour la Ligue Des Champions. Une défaite vexante en finale de Ligue Europa, qui plus est face au rival londonien Chelsea (4-1) parachève le tableau. Josh Kroenke et le comité exécutif d’Arsenal sont rentrés de Bakou la tête lourde, ce soir là.

Cette saison en berne a conduit les fans à l’exaspération, et a surtout lancé le mouvement “We Care, Do You?” révélant le mal-être des supporters et leur éternelle question, est-ce que les Kroenke sont concernés par les résultats du club?

Une partie de ce ressentiment peut être attribué à l’attitude de Stan Kroenke, qui n’a jamais fait des relations publiques sa priorité. Sa priorité a toujours été les chiffres et les résultats, estimant que l’opinion publique suivrait. Il est évident que Stan n’est pas un supporter de longue date du club, mais il s’y investit depuis maintenant plus de 13 ans. Ceux qui le connaissent insistent sur le fait qu’il existe un lien fort entre lui et son club, ainsi qu’avec la ville de Londres, capitale économique de l’Europe, selon lui.

Une autre partie du problème réside dans le fait que Stan n’est pas quelqu’un d’expressif. Certain le décrivent comme timide, réservé voir socialement inadapté. Lors de fêtes organisées pour célébrer les victoires du club en FA Cup notamment, il est apparu enjoué, mais sans plus. Lorsque les Colorado Rapids ont remporté la MLS Cup en 2010, l’équipe a été invitée à la Maison Blanche. Des sources indiquent que Kroenke, bien que fier de ce moment, ne l’a pas laissé transparaitre. Si les fans d’Arsenal espèrent des expressions publiques d’affection envers le club, Stan Kroenke n’est tout simplement pas la personne pour.

C’est l’une des différences majeures entre lui et son fils, Josh. Bien que père et fils font preuve d’unité en public, les désaccords entre les deux ne sont pas rares en privé.

À l’instar de son père, Josh est plus ouvert, plus communicatif. À 40 ans, ce dernier a des relations plus humaines avec ses employés. Il est également plus présent au club. La direction du club envoie souvent des messages pour encourager ou féliciter ses joueurs, là ou Josh se déplace et donne de sa personne. Il a notamment été féliciter Pierre Emerick Aubameyang lorsque ce dernier a prolongé son contrat cet été. Il l’a également fait pour Mesut Ozil en 2018, et pour beaucoup d’autres.

Lors de ses années universitaires, Josh a suivi des cours d’aisance médiatique, afin de pouvoir répondre et gérer les questions des journalistes qui l’attendrait dans le futur, sur lui ou KSE. Lorsque les fans d’Arsenal ont demandé des comptes récemment, c’est Josh qui leur a répondu : “Nous devons comprendre ce que nous sommes en train de vivre. Nous sommes un groupe avec des objectifs communs, des challenges. Lorsque ces challenges seront atteints, nous serons fier de regarder ce que nous avons accompli, et avec qui nous avons réussi à le faire”.

Pour répondre à la colère montante des fans du club, Arsenal se devait de frapper sur le mercato 2019. Les débats au sein du club s’articulaient autour de deux postes majeurs à renforcer : défenseur central et ailier. Unai Emery aurait préféré avoir les deux, mais à choisir, sa recrue idéale se nommait Wilfried Zaha. Durant le fameux barbecue chez Josh Kroenke, auquel étaient conviés les dirigeants de KSE et ceux du club, tout cela fût évidemment discuté. Dans le cas de Zaha, son club de Crystal Palace refusait de vendre à moins de 100M€. Cela à l’esprit, le nom de Nicolas Pépé fût énoncé.

Arsenal était au courant d’une offre du Napoli pour le joueur Ivoirien, et a pu négocier de son coté avec le club de Lille. Un accord fût trouvé, et Raul Sanllehi s’est immédiatement rendu en France pour finaliser le transfert. Il s’agissait là d’un record de montant pour le club, ce qui impliquait de vendre pour financer ce transfert. C’est à ce moment que KSE est intervenu, offrant au club des garanties financières au cas où certaines ventes d’indésirables de l’effectif n’aboutiraient pas.

L’arrivée de Pépé envoie un message clair, Arsenal est désormais un club qui dépense de l’argent. L’ivoirien est arrivé pendant le même mercato que Kieran Tierney, David Luiz et William Saliba, tous recrutés pour plusieurs dizaines de millions d’euros. L’efficacité de ces recrutements est évidemment une autre question, même si certaines sources font état d’inquiétudes sur cette question de la part du board.

Malgré ces gros investissement, Unai Emery n’a pas pu empêcher les résultats de l’équipe de chuter. L’espagnol a été remercié après 7 matchs sans victoires, avec en point d’orgue une défaite à domicile face à Francfort. KSE n’aime pas changer de coach en cours de saison, pour éviter les remous dans et autour du club. La seule raison valable pour le faire, à leur yeux, est quand un coach perd le soutien du vestiaire. C’est ce qui est arrivé, l’espagnol a donc été remercié.

Sanllehi et Venkatesham ont présenté leur plan de licenciement de l’entraineur d’Arsenal à Josh Kroenke, qui a relayé à son père. Stan Kroenke prend la décision finale, et comme ça, Unai Emery est licencié.

Désormais à la recherche d’un nouveau manager, le board prends la décision suivante : sacrifier sa fin de saison, et préparer le terrain pour les saisons à venir. La question fut donc de savoir qui sera le meilleur manager d’Arsenal pour les 5 saisons à venir. La réponse des décisionnaires du club fût unanime, cet homme s’appelle Mikel Arteta. Vinai Venkatesham a rencontré l’espagnol, puis Josh Kroenke. Stan fut informé de l’avancement du dossier, et fût comme à son habitude, le dernier à prendre la décision. Le passé de l’espagnol en tant que joueur et capitaine du club ont beaucoup joué, ainsi que la relation entre les deux hommes. Ces derniers ne se sont pas rencontrés depuis la nomination du technicien, mais leurs contacts sont réguliers. Il est tout de même triste de noter que les Kroenke n’ont pas fait le voyage pour fêter la victoire du club en Coupe d’Angleterre, 6 mois après l’arrivée d’Arteta…

Comme pour tous les clubs de football anglais, l’année 2020 fût très dure financièrement. Josh Kroenke décrit la situation financière du club comme “une facture de Ligue des Champions avec un budget d’Europa League”. L’absence de billetterie est également préjudiciable, Arsenal étant l’un des clubs anglais avec les plus gros revenus liés à la billetterie.

En avril, Arsenal devient le premier (et le seul) club de Premier League à opérer des coupes dans les salaires de ses joueurs. La manœuvre ne venait pas des propriétaires du club, mais bien du comité exécutif, qui a reçu l’aval des joueurs, en échanges de certaines garanties sur la santé du club et de ses employés.

La colère des acteurs principaux du club fût donc énorme, lorsque l’annonce des 55 licenciements au sein du club moins de 4 mois plus tard, fût rendue publique.

Le maitre mot à Arsenal depuis le début de la pandémie a été l’efficacité. La crise économique a poussé le club a mener une restructuration, qui pour certains observateurs était nécessaire, et ce depuis longtemps. Lorsque Sir Chips Keswick démissionne de son poste de président du board en mai 2020, la décision fût prise de ne pas le remplacer, prenant en considération le fait que le board était trop petit pour avoir besoin d’un tel poste. Cela n’a cependant pas empêché les Kroenke d’y faire entrer Tim Lewis…

Lewis, l’un des conseillers avisés des Kroenke, et instigateur de l’achat d’Arsenal par KSE il y a plus de 10 ans, se retrouva d’ailleurs fort utile aux Kroenke lorsque ceci ne purent plus traverser l’Atlantique. Il leur a fourni une présence sur le terrain indéniable et appréciée. Ses aptitudes dans le milieu légal ont également aidé lors de la dite restructuration du club. Mais c’est également un fan du club, qui assiste régulièrement aux entrainements avec Edu. Avec des employés comme lui ou Tomago Collins, les Kroenke gardent des yeux avisés sur les sujets importants de tous les jours, et envoient un message fort : Ils voient tout, même sans être physiquement là.

Parmi ses nombreuses tâches, Tim Lewis a été chargé, avec le board, de renégocier le prêt du stade, chose qui tenait à cœur aux Kroenke, mais qu’ils n’étaient prêt à faire que lorsque 100% du club leur appartiendrait. C’est chose faite, avec une économie d’environ 20M€ par an pour le club, et donc pour KSE.

Une autre source  d’inquiétude pour les Kroenke vient des transferts, de la façon de les réaliser et surtout de la communication entre les propriétaires et les équipes responsables des dit-transferts, souvent compliquée. Un exemple frappant est celui de David Luiz, qui aurait accepté de quitter Chelsea pour Arsenal pour un contrat d’au moins 2 ans. Au moment de le signer, le club n’a pu lui promettre qu’un an, avec une option pour la deuxième année, à la discrétion du club. Durant l’été, les discussions ont été animées quant à cette prolongation, qui a finalement eut lieu. David Luiz a déclaré en conférence de presse qu’il aurait dû prendre une décision plus tôt de lui même, sous entendant que la gestion du club de son cas ne lui plaisait pas, faisant passer la gestion de la question par le club pour désorganisée.

Les signatures permanentes de Pablo Mari et de Cedric Soares ont également fait parler. Ces derniers ont été prévenus dès janvier 2020 que leurs contrats seraient signés, mais KSE n’en aurait pas été informé immédiatement, comme cela devrait être le cas. Des questions se sont également posées concernant l’influence du super agent Kia Joorabchian, qui s’est permis de commenter publiquement la gestion du club, chose que bien qu’incontrôlable par le club, ne serait jamais arrivée il y a quelques années.

Malgré tout cela, le bilan du mercato d’Arsenal fût bon, et l’équipe renforcée. La prolongation d’Aubameyang, couplée aux arrivées de Partey et Gabriel notamment, laisse présager une belle saison, même si le club ciblait au moins un milieu de terrain de plus, qui aurait pu être Houssem Aouar ou Jorginho, ce dernier étant très apprécié par Arteta.

Un membre du staff du club résume les Kroenke ainsi :”Les Kroenke sont de bons propriétaires, tant qu’ils ont les bons employés pour gérer le club”. Une phrase qui les résume assez bien, et qui insiste sur l’importance de la gestion du staff du club.

Des erreurs ont évidemment été faites dans la transition et l’après Wenger, et le mode de fonctionnement du club entier s’en est retrouvé chamboulé.

Arsenal est cependant confiant de sa nouvelle organisation, vue comme plus simple et linéaire. La relation entre le coach Arteta et le directeur technique Edu ressemble à l’organisation que l’on peut voir dans les structures sportives américaines, celles auxquelles les Kroenke sont plus habitués. Une grande importance est accordée aux équipes de jeunes. Les compétences en négociations d’Edu sont reconnues et appréciées, et KSE sait qu’il va encore s’améliorer sur ce point.

La gestion du club par Kroenke a toujours été orientée vers le long terme, car cela a toujours été sa façon de fonctionner. Il se penche déjà sur la question du naming du stade, alors que le contrat avec la compagnie Emirates Airways cours jusqu’en 2024. KSE a également signé un contrat de sponsoring avec l’industriel Ball Corporation, contrat qui pourrait profiter à toutes les équipes de l’empire KSE, et donc donner un vrai intérêt pour toute équipe à rester dans le giron des Américains.

D’un point de vue strictement business, la gestion de Stan Kroenke est vue comme astucieuse. KSE insiste également sur le fait qu’ils n’ont aucune intention de vendre le club, que celui-ci restera dans la famille. Reste à savoir si les Kroenke réussiront un jour à convaincre les fans.

Ce n’est pas gagné. KSE n’a jamais réussi à trouver l’équilibre entre l’efficacité économique et l’empathie humaine que les fans le Premier League réclament tant. Pour beaucoup, les récents licenciements ont laissé un gout amer. Les fans anglais adoreraient voir des clubs de haut niveau détenus par de réels fans du club, chose malheureusement extrêmement rare de nos jours…

En 2019, les fans d’Arsenal avaient tenté d’interpeller les propriétaire avec le communiqué  “We care, Do you?”, question à laquelle aucune réponse des Kroenke aurait pu satisfaire. Stan Kroenke n’allait en tout cas pas changer ses habitudes de toute une vie pour y répondre. Cependant, les décisions de KSE des dernières années suggèrent que la gestion du club change, et essaye d’effacer cette image de propriétaire silencieux qui lui colle à la peau depuis si longtemps. A voir si cela se confirme avec le temps.

Un ancien membre du staff concluera sur les Kroenke :” Je pense qu’ils aiment le club, ils ne le disent juste pas ouvertement”.

 

Article de The Athletic de James McNicholas, David Ornstein et Amy Lawrence, traduit de l’anglais par Matthieu Rolland pour Arsenal French Club.


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