Philippe Auclair: “J’espère que Thierry ne reviendra pas cette année.”

L’histoire d’amour entre les fans d’Arsenal et Thierry Henry sera certainement l’un des plus grands chapitres de l’histoire du club. Il fut la plus brillante de la galaxie d’étoiles aussi connue comme les Invincibles et dans ce monde de plus en plus nomade qu’est le football moderne, il est difficile d’imaginer comment son record de buts pour Arsenal pourrait être un jour battu.

Cependant, l’histoire entre les fans et le joueur, entre le club et son capitaine fut parfois des plus complexes. Thierry ne cachait pas ses défauts et sa personnalité particulière et c’est un sujet idéal de dissertation pour un ouvrage littéraire. Et pour cela, qui mieux que Philippe Auclair pour raconter l’histoire d’Henry: une voix sure du football français et anglais, en particulier connaisseuse d’Arsenal. Le résultat: “Thierry Henry: Lonely at the top.”, un ouvrage fantastique. Je le recommande fortement à tous les Gooners.

Je fus ravi qu’en marge de sa promotion pour son livre, Philippe accepta de se livrer pour Gunnerblog. A la base, lorsque je lui ai posé ces questions, je pensais en publier une sélection au travers d’un article. Mais ses réponses furent tellement complètes et si détaillées que j’ai pensé que ce serait une honte d’en faire un condensé. Allez-vous préparer une tasse de thé et posez-vous tranquillement pour lire les pensées de l’un des commentateurs les plus informé au sujet d’Arsenal.

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour l’écriture de ce livre sur Thierry?

“Deux choses. La première, c’est que j’étais perplexe par le fait que, et ce malgré l’abondance si c’est le terme,sur les biographies et les autobiographies publiées dans ce pays, il n’y’en a aucune concernant le plus grand joueur qui ai joué dans ce pays, a part des récits de purs faits réels qui ont été écrits durant la période des Invincibles. Ce n’est pas comme s’il n’y avait pas d’histoires à raconter, même si Thierry n’était pas le genre de footballeur ou de personne capable de vous sauter dessus tel un sujet manifeste comme Cantona, pour qui chaque action ou déclaration semblait produire une certaine dramaturgie ou quelque chose du genre.”

“Deuxièmement, la plupart des gens semblaient inconscients de la dichotomie entre l’image trouble d’Henry dans son propre pays et son statut de héros génial pour les fans d’Arsenal (et plusieurs autres anglais “neutres”). Comment ces deux visions peuvent exister? Que démontrent-elles? Puissent-elles se lier? Ce fut également une superbe opportunité de se pencher sur l’histoire d’amour entre la France et son équipe nationale et de la subséquente analyse de cette liaison. Thierry a été présent pendant toute cette période. Ce qui a rendu l’idée difficile à décliner.”

Il a évidemment su saisir l’imagination des fans d’Arsenal durant sa période en Angleterre. Est-ce que le côté artistique de son jeu, et de l’équipe d’Arsenal dans laquelle il a excellé le rend plus propice pour écrire à son sujet?

“Parfois, oui car je peux simplement laisser le stylo glisser, guidé uniquement par mes propres émotions. Il nous a procuré tellement de joie. C’est beaucoup plus simple (pour moi en tout cas) d’écrire sur quelqu’un que j’apprécie. J’ai aussi pensé que ni lui, ni les différentes équipes d’Arsenal avec lesquelles il a joué, n’ont reçu le véritable mérite lorsqu’ils étaient au sommet de leur art. Je continue à penser que la grandeur d’un joueur et de celle d’une de ses équipes n’est pas reconnu à sa juste valeur, cela aurait été différent bien sur si Chelsea n’avait pas gagné 2-1 à Highbury en 2004. Cette Ligue des Champions manquante jette une ombre infinie sur les autres réalisations.”

Thierry Henry a toujours contrôlé son image publique avec beaucoup de précaution. En dépit de cela, pensez-vous réellement que son amour déclaré pour Arsenal est authentique?

“Absolument, même si parfois, il a exprimé son amour de façon un peu maladroite, encore une fois, ce n’est que ma propre perception des choses, basée sur ce que j’ai pu voir, en ayant discuté avec lui, assez régulièrement d’ailleurs durant les 8 ans passés au club. Je n’ai aucun doute concernant son amour pour le club, c’est un fan sincère bien qu’un genre unique de fan. Je dois ajouter d’autres personnes, comme Robert Pires, qui ressent un profond lien avec le club mais peut-être plus simple à porter. C’est une question de personnalité, pas de degrés sentimentaux.”

Y’a-t-il un moment ou un but qui résume Thierry selon vous?

“J’espère que le but contre Leeds à l’Emirates la saison dernière deviendra une image définitive résumant ses relations avec Wenger, le club et les supporters comme une image réunissant tout le meilleur qu’il y a en eux, sachant que le but fut une “spéciale” Henry, venant de gauche, trouvant le côté opposé du but etc… Mais ce n’est pas vraiment la question. Résumer Thierry est un peu différent. Le but contre Liverpool en 2004 avec Carragher dans son dos est surement l’un des préférés de Thierry (le match l’est sans aucun doute), mais cela ne le résume pas. Il y a aussi le Thierry du match tragique contre Fulham, après que Song ait été chahuté par les supporters d’Arsenal si vous vous rappelez, il était plein de colère et de frustration. Vous ne pouvez pas avoir l’un sans l’autre. La chose qu’on a vu 90% du temps fut Henry qui laissait Carragher sur le cul. Donc la réponse est “pas tout à fait”.”

Arsenal a perdu un autre grand buteur cet été, Robin van Persie. Historiquement, Arsène a toujours su gérer la succession de ses avants-centres, de Wright à Anelka, Anelka à Henry, Henry à Adebayor et enfin Adebayor à van Persie. Pensez-vous qu’Olivier Giroud est capable de revêtir le costume?

“J’ai passé beaucoup de temps à soutenir Giroud dans les premières semaines et premiers mois de la saison, lorsque son tir raté contre Sunderland (comparable à des dizaines d’occasions ratées par Henry et van Persie et apparemment, des centaines dans le cas d’Adebayor) a fait de lui un bouc émissaire tout trouvé pour expliquer les problèmes qui affectaient l’équipe”.

“Des buteurs peuvent s’adapter immédiatement: Aguero par exemple. D’autres mettent du temps à s’installer: Henry en est l’exemple le plus flagrant concernant Arsenal. Giroud appartient à la seconde catégorie. C’est un “diesel” pas un “sans plomb”. Ce n’est pas un “supersub” [le remplacement qui change tout] comme Solskjaer, qui savait immédiatement donner du jus au match. La plupart de ses buts pour Montpellier ont été marqué lorsqu’il était titulaire. Maintenant, il a fait lui-même sa place en tant que premier choix au poste de buteur et on peut voir la différence. Il devient un peu plus vorace, ce qui est bien pour un avant-centre. Même lorsque sa finition n’est pas aussi tranchante qu’à son habitude, il sait pourvoyer aux autres des occasions.”

“Je crois sincèrement que c’est le meilleur pivot du championnat, bien supérieur à Andy Carroll, pour nommer un joueur qui est souvent mentionné lorsqu’il s’agit de parler de « target-man” qui sait gagner les premiers ballons. Il est plus intelligent dans l’utilisation de la balle, sur ses appels aussi. Il possède également une grosse frappe. Mais il n’est pas Robin van Persie qui, en termes de technique pure, appartient à l’élite du football mondial. Giroud ne peut pas encore, et jusqu’à ce qu’il devienne un footballeur ambidextre (ce qui van Persie fait) et s’il le peut, prétendre à un tel statut. Il est bon de se rappeler que Giroud a commencé sa carrière professionnelle très tard et sa marge de progression est énorme. Il peut toujours marquer 20 buts pour Arsenal cette saison s’il est épargné par les blessures. Pas trop mal, non?”

La mode du recrutement made in Ligue 1 d’Arsène semble commencer à s’user avec le temps. Ce ne fut jamais parfait, pour chaque Thierry Henry il y avait un Kaba Diawara ou Christopher Wreh, mais durant les récentes saisons, cela semble devenir particulièrement irrégulier. Il y a des succes-story comme Bacary Sagna et Laurent Koscielny, mais les exemples de Park, Chamakh et Gervinho ont eu du mal ou n’ont pas réussi à s’adapter comme on l’attendait. Pensez-vous que l’instinct de Wenger pour recruter en Ligue 1 a mené à des erreurs de jugement?

“Vous vous tournez naturellement vers ce que vous connaissez et vous ne pouvez pas tout savoir. Regardez Martinez à Wigan. Il est un des nombreux managers de PL qui en terme de recrutement, pense toujours que l’Ecosse est un réel marché (et il l’a remarquablement exploité). Pourquoi? Parce qu’il était à Motherwell auparavant. Mourinho a ramené des joueurs lusophones à Chelsea. Ancelotti et Leonardo au PSG ont pillé Milan mais aussi Palerme et Pescara (Verratti). Je peux continuer longtemps comme ça. Les managers étrangers regardent toujours, par défaut, la d’où ils viennent.”

“Les joueurs que vous avez cité n’ont pas réussi à s’adapter (il y a eu d’autres exemples par le passé, vous vous souvenez de David Grondin?), mais leurs échecs est différents pour chacun. Park était supposé être un bon coup pour un garçon qui est le capitaine de son équipe nationale. Le problème de Chamakh est plutôt une histoire de tempérament plutôt que de talent. Gervinho est exaspérant parfois (souvent) mais il peut avoir un sérieux impact vu l’authenticité de son jeu. Il semble avoir une bonne valeur pour l’instant, “sembler” est le mot: la Ligue 1 a perdu de son niveau, plutôt beaucoup même depuis que Wenger est parti. Gervinho fut un joueur-clé dans la conquête du titre à Lille. Je dois avouer que je faisais partie de ceux qui pensaient qu’il était une très bonne recrue, surtout vu le prix que le LOSC a demandé pour Hazard (qui je dois le dire, connait plus de difficultés après un début de saison époustouflant.)”

“Mais il ne faut pas se focalisé uniquement sur Wenger, c’est l’ensemble du réseau de recrutement, qui est plus présent dans certaines régions que d’autres, une étape importante dans n’importe quel club que vous pourriez citer. Cela me surprend par exemple, que le plus important réservoir de talent soit en Allemagne et qu’il ne soit pas davantage exploité par les clubs anglais, puisqu’ils peuvent rivaliser, et assez facilement, avec les clubs domestiques. Je suis fondamentalement d’accord avec vous mais je ne pense pas que ce soit un problème spécifique de Wenger.”

Arsenal est juste au niveau des attaquants en ce moment. Pensez-vous qu’il y a une chance que Thierry Henry revienne pour une ultime pige en Janvier?

“Ça semble être le cas mais j’espère que non. Le chapitre final a été écrit et d’une belle manière la saison dernière. Il n y a aucune chance qu’un Thierry Henry dans sa 36ème année puisse mieux faire que ce qu’il a fait 11 mois plus tôt, surtout que le club a plus d’options en attaque qu’en 2011-2012. Il ne représenterait surement pas une solution alors que l’an dernier, vu la « van Persie-dépendance », il pouvait faire la différence à certains moments. Même en comptant Gervinho à la CAN, vous avez toujours Podolski, Giroud, Walcott, Oxlade-Chamberlain, le jeune Gnabry et, quoi que vous pensiez de lui, Andrei Arshavin qui semble en partance mais qui peut toujours apporter un terrible plus à l’équipe, si Wenger partage cette opinion (ce qui ne semble pas être le cas, désolé mais je suis très partial avec le Russe). Je ne crois sincèrement pas à un nouveau “retour du Roi”.”

Quelles que soient les possibilités de le voir revenir en tant que joueur, pensez-vous que les fans d’Arsenal pourraient le voir prendre un rôle à l’Emirates dans le futur?

“J’en doute. Question de personnalité plus que de capacité. Thierry a une connaissance encyclopédique du football mondial et une compréhension du jeu qui est exceptionnelle parmi les joueurs actuels. Mais il n’a jamais été un leader naturel, même lorsqu’il était le capitaine de ses équipes (inclus la France à différents âges), je ne suis pas sûr qu’il pourrait faire face aux médias non plus et il est très irritable lorsqu’il est critiqué. Mais je viens tout juste de me rappeler que j’avais donné une réponse différente à une autre question “Est-ce que Thierry ferai un bon manager pour Arsenal?” qui reste la question que chacun se pose. Bergkamp, par contre…”

#Max ( via gunnerblog.com)


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