Point Histoire #1 : La légende d’Herbert Chapman

*Article disponible en version audio dans l’émission The Chronic disponible ici

Si vous êtes un fan assidu d’Arsenal, le nom d’Herbert Chapman ne doit pas vous être inconnu. Personnage mythique de l’histoire du club, Chapman est l’un des cinq hommes à posséder sa statue devant l’Emirates Stadium (avec Bergkamp, Henry, Adams et Ken Friar). Mais qui est vraiment Herbert Chapman, pourquoi et comment a-t-il été si important dans l’histoire d’Arsenal ?

Né à Kiveton Park (Yorkshire), Chapman eu une modeste carrière de joueur au poste d’attaquant qui lui permit d’échapper à la mine, passant entre autres par Grimsby, Northampton et… Tottenham.

Sa carrière d’entraîneur commence sur un coup du destin à Northampton en 1907, après que son coéquipier Spur Walter Bull refuse le poste de coach. D’abord adepte d’un jeu de passe léché, il change bien vite sa tactique en incitant son équipe à mieux gérer le tempo des matchs, notamment en se repliant davantage : une innovation gagnante qui permet à Northampton de terminer en tête de la 3ème division en 1908.

Chapman entraîne par la suite Leeds avec un certain succès, mais connaît en 1919 le premier coup dur de sa carrière : une suspension à vie pour un refus de communiquer les livres de compte du club, suite à des accusations de paiements illégaux aux joueurs. Herbert Chapman reprend alors un travail d’ouvrier dans une raffinerie d’huile de lin, et ce jusqu’en 1921 quand il est contacté par Huddersfield Town qui cherche un adjoint au coach actuel, Ambrose Langley. Intéressé par le poste, Chapman fait appel auprès de la FA pour lever sa suspension et obtient gain de cause.

6th September 1933: Herbert Chapman, the Arsenal manager is with Mr Foster of the International Group Of Brothers who have been instrumental in setting up soccer classes for boys. (Photo by H. F. Davis/Topical Press Agency/Getty Images)

Un mois après son arrivée à Huddersfield, Chapman se retrouve catapulté entraîneur principal suite au départ de Langley. Grâce à un jeu basé sur la contre-attaque, les Terriers ont rapidement de bons résultats et gagnent la FA Cup en 1922. Visionnaire, Chapman pense à long-terme et entreprend des rénovations dans le stade de son équipe. Le jeu d’Huddersfield est cependant qualifié d’austère et peu spectaculaire auprès des journalistes et de la FA via ses comptes-rendus officiels : à cette époque, la norme en Angleterre était davantage aux exploits individuels et à la débauche d’énergie qu’au jeu de passes et aux innovations tactiques. Qu’importe, puisque Chapman et Huddersfield continuent leur progression et gagnent deux titres de champions d’Angleterre en 1924 puis en 1925.

L’avenir semble radieux à Huddersfield, mais Herbert Chapman est contacté par Arsenal et est alors tenté par le projet sportif du club et le potentiel de son effectif, à ses yeux plus grand encore que celui de sa précédente équipe. Chapman accepte le job à deux conditions : il voulait que son président soit patient (il prévoyait 5 années pour gagner un titre) et demandait des investissements sur le marché des transferts (Chapman dépensa 4000 livres pour le seul Charlie Buchan là où Arsenal n’avait dépensé que 1000 livres en transferts l’année précédente).

La première saison de Chapman à Arsenal fut marquée par un changement majeur des Lois du Football : la règle du hors-jeu avait été modifiée avant le coup d’envoi de la saison 1925-26, afin de lutter contre un nombre de buts jugé trop faible dans les rencontres de championnat. Auparavant, un joueur était considéré « en jeu » uniquement si il avait au moins trois adversaires devant lui au moment où un partenaire lui adressait une passe. Désormais, il suffisait à un joueur d’avoir deux adversaires devant lui pour être en position licite. Une modification des règles qui causa beaucoup d’instabilité dans la Ligue, et en particulier à Arsenal, dont les résultats avec Chapman pour ses débuts furent chaotiques : à une victoire 4-1 contre Leeds succéda une humiliation 7-0 face à Newcastle.

Toujours à la pointe de l’innovation, Chapman eut écho d’un nouveau système de jeu qui pourrait lui permettre de trouver une certaine stabilité : le W-M. Il faut rappeler qu’à l’époque, quasiment toutes les équipes jouaient en 2-3-5 (ou pyramide). Le W-M consistait alors à faire reculer le milieu central comme troisième défenseur et à faire reculer les deux attaquants (qui se trouvaient entre l’avant centre et l’ailier) à un poste que l’on nommait « Inter » : le schéma tactique était alors une sorte de 3-2-2-3, ce qui formait donc une attaque en W et une défense en M.

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Si Chapman n’est pas l’inventeur de ce système, il en comprend très vite les vertus pour réussir à piéger ses adversaires suite à la modification sur la loi du hors-jeu. Arsenal n’est pas la seule équipe à alors jouer en W-M, mais elle est bien celle qui exploite le mieux ce système, grâce à une parfaite compréhension de Chapman de son effectif et des rôles que doivent occuper ses joueurs en fonction de leurs profils (là où les autres équipes utilisaient toujours le même type de joueur pour jouer à un poste défini). Ces ajustements permettent à Arsenal de terminer 2ème en 1925-26 (derrière Huddersfield), un résultat inespéré après un début de saison plutôt mauvais.

Arsenal continue à pratiquer le jeu voulu par Chapman et parvient jusqu’en finale de la FA Cup en 1927 mais perd face à Cardiff. Le second souffle du mandat de Chapman aura lieu à l’été 1929 suite à l’achat de l’attaquant Alex James. Aujourd’hui méconnu, James fut un homme crucial du système de Chapman, au point qu’il fut écrit dans l’histoire officielle du club que « personne ne devrait sous-estimer l’apport d’Alex James à l’équipe conquérante d’Arsenal dans les années 30 : il en était tout simplement l’homme clé ».

Avec James, Arsenal remporte une FA Cup en 1930 (5 ans après l’arrivée de Chapman , comme il l’avait prédit). En grand modernisateur et précurseur du football, Chapman est à l’origine de bon nombre d’innovations, dont la plus remarquable reste la fameuse réunion organisée à chaque veille de match où il expliquait à ses joueurs le plan de jeu à suivre le lendemain sur un tableau magnétique. On lui doit également l’horloge d’Highbury devenue légendaire aux yeux des fans.

La méthode Chapman fonctionne de mieux en mieux, et les résultats suivent : Arsenal devient champion en 1931 et 1933. Le style des Gunners était alors qualifié de « spectaculaire, excitant et ravageur », et on parlait de l’équipe comme d’une « machine ».

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Néanmoins, toute success-story doit avoir une fin, et celle d’Herbert Chapman fut des plus tragiques. Alors qu’il avait pris froid lors d’un match à Bury en janvier 1934, Chapman décide malgré tout d’aller observer son prochain adversaire à Sheffield. Son état empire et il est fiévreux, mais il va une nouvel fois contre l’avis de ses médecins pour aller assister à un match de la réserve d’Arsenal. Très faible à son retour du match, Chapman meurt quelques jours plus tard d’une pneumonie à l’âge de 55 ans. Comme un dernier hommage à un homme habité par son métier, Arsenal gagne le titre en 1934.

On retiendra de Chapman sa passion, sa modernité, et son inventivité, qui lui ont permis de mener Huddersfield puis Arsenal au succès. Véritable père du « W-M » qui deviendra après lui un véritable standard durant des années, Chapman fut aussi très décrié à cause de cette même invention : là où Arsenal avait employé ce schéma pour contrer la nouvelle loi sur le hors-jeu et proposer un football séduisant et novateur, ses nombreux imitateurs, qui n’avaient ni le recul ni l’effectif pour utiliser le W-M à son plein potentiel en firent un système négatif et ultra-défensif, que les observateurs de l’époque voyaient comme le symbole du déclin du football Anglais, dont fut alors accusé Chapman. Mais il serait injuste de le tenir responsable de cela : d’autres techniciens se sont tout simplement fourvoyés en employant un système par effet de mode, sans en avoir la compréhension.

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