Devoir de mémoire #3 : Martin Keown, le soldat

Dans notre troisième épisode de “Devoir de mémoire”, nous nous intéressons à Martin Keown, une des légendes des années 1990 les plus méconnues de sa génération. Défenseur rugueux, dans un style anglais à l’ancienne, Keown a connu la fin de la période Graham et l’arrivée d’Arsène jusqu’aux Invincibles. Compère de Tony Adams dans l’axe et international à 43 reprises, celui qui est aujourd’hui consultant a toujours clamé son amour pour le club. Il restera à jamais dans les mémoires comme celui qui a sauté sur Ruud Van Nistelrooy après son penalty raté.

Martin Keown ne le sait peut-être pas encore, mais il joue sa dernière saison pour Arsenal. Nous sommes le 21 septembre 2003, et se joue ce qu’on appellera plus tard “La bataille d’Old Trafford”. Alors que le temps additionnel arrive à son terme, Manchester United se voit offrir un penalty, généreux, pour une faute de l’expérimenté défenseur de 37 ans sur Diego Forlan. La suite, c’est le coupable qui la raconte.

“C’était un match similaire à celui de 2002. Ils n’arrivaient pas à trouver la faille. Après le carton rouge de Patrick (80′), ils attaquaient de tous les côtés et l’arbitre a donné un penalty (93′) pour une faute de ma part, ce qui je pense était injuste. Mais même s’il y avait rien, c’était de ma faute. Quand il a raté, on l’a bien chambré, comme si on jouait dans la rue. Le match était fini, et on continuait notre série. La manière dont nous avons réagi n’était pas parfaite, mais nous nous sommes déchargés de toute l’adrénaline du match et il y avait beaucoup d’émotion. J’étais un joueur expérimenté, donc j’aurai pu mieux me comporter. Mais quand Van Nistelrooy a raté, personne ne pensait qu’on finirait invaincus.” 

L’attitude des Gunners vaudra de lourdes sanctions de la part de la FA (déjà !). Une amende historique de 273 000 euros et plusieurs joueurs suspendus, dont Keown, qui manquera trois matchs sans pour autant avoir pris de carton rouge. L’Anglais connaît la dernière titularisation de sa carrière en Premier League la semaine suivante, avant de voir s’imposer Kolo Touré dans l’axe, aux côtés de Sol Campbell. Mais qu’importe, il quitte un club qui a joué le maintien 10 ans plus tôt sur trois titres de champions, dont le mythique de 2004.

Né dans les années 1960 à Oxford, Keown rejoint Londres en 1980, chez les jeunes. “Ma mère a crié quand Arsenal a appelé,” explique le futur international. Progressant au sein d’une équipe pleine de pépites, telles que David Rocastle, Paul Merson ou un certain Tony Adams, il arrive chez les pros avec l’ambition de s’imposer, ce qu’il fait après un prêt à Brighton. “Je ne voulais jouer pour aucun autre club qu’Arsenal,” clame-t-il dans une vidéo retraçant sa légende. Mais à la fin de son contrat d’aspirant, le club ne lui proposera qu’un contrat d’un an qu’il décline.

Martin Keown en 1995

Il atterrit à Aston Villa à l’été 1986, où il avoue être “dégoûté d’avoir signé pour un autre club.” Après trois saisons chez les Villans (dont une en D2), et quatre autres à Everton, Keown revient à la maison, à l’hiver 1993. Transféré contre 3M€ – une somme considérable pour l’époque – l’Anglais est un titulaire indiscutable qui suscite beaucoup d’attentes. Il côtoie Lee Dixon et Tony Adams en défense, mais estime que ses “deux premières saisons sont difficiles,” en raison des espoirs placés en lui en lien avec le montant de son transfert.

Sa première demi-saison à Arsenal aurait pu s’achever en fanfare, puisque le club réalise le doublé League Cup – FA Cup, le premier de l’histoire. Mais son transfert hivernal l’empêche de jouer les coupes pour un autre club. Il rate donc les deux finales et par la même occasion deux trophées à placer sur sa cheminée. Une malédiction qui le poursuit l’année suivante, alors que les hommes de George Graham disputent la finale de la Coupe des coupes. Blessé à la cuisse en championnat quelques jours auparavant, il est en tribune quand les Gunners dominent Parme (1-0) et soulèvent l’unique C2 de leur histoire. “Je n’ai pas pris de plaisir à regarder ce match,” concède Keown.

Dès la saison suivante, les Gunners retrouvent la défunte Coupe des coupes, malgré un exercice chaotique où George Graham a été viré en février pour des histoires de pots-de-vin, pendant que l’équipe végète dans le ventre mou de Premier League. La malédiction qui touche Keown se poursuit. Un nez trop douloureux le contraint à sortir à la mi-temps. Saragosse l’emporte grâce à un but du milieu de terrain de Zayim à la 120e minute.

Défenseur rugueux, Keown dégoute les attaquants adverses par son agressivité et sa lecture du jeu. Le Bleacher Report l’a d’ailleurs élu parmi les six défenseurs les plus durs de l’histoire du club. Le média américain le décrit ainsi :

“L’un des joueurs les plus marquants de sa génération, Martin Keown a combiné une superbe connaissance du jeu avec une force brute pour devenir un fantastique défenseur polyvalent. Ensemble, lui et Tony Adams ont formé le duo défensif central le plus épouvantable de leur temps, et ils ont joué un rôle déterminant dans le succès d’Arsenal pendant cette période. Comme pour tant de joueurs sur cette liste, Keown restera à jamais dans les mémoires et vénéré pour sa manière de jouer avec son coeur.”

“Est-ce que les gentils gagnent quelque chose ?”

Évoquer Tony Adams est une évidence, tant ces deux-là ont formé une paire redoutable pendant presque dix ans. Tony et moi étions dans la même équipe de jeunes au club, donc le lien remonte à de nombreuses années, mais vous devez avoir un ensemble de compétences qui se complètent. Des joueurs comme Adams, Campbell, Steve Bould et David O’Leary mesuraient tous quelques centimètres de plus que moi, alors je préférais être avec quelqu’un qui était meilleur dans les airs.”

Une longévité qui s’explique aussi par une très bonne hygiène de vie. Je ne sortais jamais boire, confiait-il au Sun. Je devais être assez différent, mais j’ai été élevé avec l’idée que je n’allais pas gaspiller d’argent ou d’énergie à faire ça.” La fin des tea time sous Arsène Wenger n’a pas du autant le perturber que Ian Wright, mais comme tout le monde en 1996, il est étonné de l’arrivée du Français. “Un homme qui ressemblait, selon Keown, plus à un prof de sciences qu’à un coach. Je lui ai dit que j’étais déçu qu’il arrive.” Et de surenchérir pour le Daily Mail. “Je n’avais aucune idée de qui il était. Glenn Hoddle (sélectionneur de l’Angleterre de 1996 à 1999 et joueur de Monaco sous Wenger) avait dit quelques belles choses sur lui depuis Monaco. C’était bizarre parce que nous n’étions pas habitués à un gars sympa. Je me souviens avoir pensé, ‘Est-ce que les gentils gagnent quelque chose ?’ et, ‘Combien de fois dois-je lui serrer la main ?’ Wenger a établi comme règle que nous devions tous nous serrer la main tous les jours.”

Tout va bien

Quelques serrages de pinces plus tard, Arsenal réalise le doublé FA Cup – Premier League en 1998. Malgré les arrivées de Matthew Upson et Gilles Grimandi, l’Anglais joue un rôle clé dans l’équipe. Ce qui lui vaut d’être rappelé en sélection, alors qu’il avait connu 11 capes entre 1992 et 1993 alors qu’il jouait pour Everton. Un retour avec les Three Lions qu’il doit en partie à Glenn Hoddle, nouveau sélectionneur et proche d’Arsène Wenger. Longtemps considéré comme un joueur de rotation, (il est présent à la Coupe du monde 1998 et 2002 mais ne joue pas), il connaît par deux fois la joie de disputer l’Euro, en 1992 et 2000. Deux tournois malheureusement marqués par une élimination au premier tour des Anglais. Avec 43 sélections, Keown peut se targuer d’une honorable carrière en sélection, d’autant que personne ne l’imaginait revenir à 30 ans.

Après avoir manqué ses deux rendez-vous avec l’Europe, la finale de la Coupe de l’UEFA 2000 est une nouvelle opportunité de garnir son palmarès. Mais le duel face à Galatasaray tourne à la désillusion, Keown ratant notamment une grosse occasion sur un centre. Au terme d’un 0-0, malgré une supériorité numérique en prolongations, les Gunners s’inclinent aux tirs au but, après des échecs de Suker et Vieira. 

Une action qui démontre que marquer des buts n’était pas son point fort. Il n’en inscrivit que 7 lors des 422 avec le maillot frappé du canon, dont un improbable doublé face au Shakhtar Donetsk, lors de la Ligue des Champions 2000-2001. Alors que les Gunners étaient menés 2-1 par les Ukrainiens dans les dix dernières minutes, Keown a renversé la situation d’un but de la poitrine et d’un autre dans le temps additionnel, dans une position de numéro neuf. Et dans les six dernières minutes, Keown est devenu l’improbable héros buteur,” écrivait la BBC ce soir-là. 

Les années avancent et malgré une concurrence très rude (Campbell, Kolo Touré, Cygan…), Keown est encore un élément important de l’équipe. Son corps grince un peu, ce qui était assez inhabituel pour lui, mais il participe grandement au nouveau doublé en 2002. Blessé en février-mars, il raconte sa fin de saison au Daily Mail : 

“Je suis revenu de blessure en montrant les dents. J’étais un homme en mission. À mon retour, nous avons remporté cinq matchs de suite – dont la demi-finale de Coupe contre Middlesbrough – sans encaisser de but. En mai, nous avions la chance de valider le doublé en cinq jours : contre Chelsea en finale de la Coupe le samedi, avant un voyage en milieu de semaine à Manchester United pour remporter le titre de champion. La veille de la finale, Arsène Wenger m’a fait entrer dans son bureau. J’ai supposé que je commencerais les deux matchs, mais il a dit : “Il y a un match plus important pour toi mercredi.”

Et c’est la charnière Adams-Campbell qui a disputé la finale victorieuse face à Chelsea (2-0, Parlour, Ljungberg), Keown entrant à la 89e minute. Quatre jours plus tard, il était bien titulaire.

” Je suis allé à Old Trafford plein de colère et j’ai joué l’un de mes meilleurs matchs sous le maillot d’Arsenal, alors que nous remportions le titre chez nos rivaux. La décision de Wenger de me laisser de côté pour la finale n’a pas affecté ma relation avec lui. Il m’a d’ailleurs proposé un nouveau contrat alors que nous étions dans le bus à toit ouvert célébrant le doublé ! Je comprends que Wenger ait été confronté à une situation très difficile avec deux matches de championnat à jouer après la finale de la FA Cup.”

Tony Adams et Martin Keown, soulevant le trophée de la Premier League en 2002

Après avoir remporté la FA Cup en 2003, Keown se lance dans sa dernière saison avec Arsenal, celle des Invincibles. Titulaire trois fois en championnat lors du début de saison, il ne jouera que des poignées de minutes par la suite. Et l’Anglais est persuadé que les Gunners auraient pu faire mieux, collectivement :

“Il manquait quelque chose à cette saison, on aurait du gagner la Ligue des Champions. Je me souviens d’une semaine, où on aurait pu tout perdre. On a été éliminés de la C1 par Chelsea et le samedi, Manchester United nous a sortis de la FA Cup. Le coeur entier de l’équipe était arraché. La semaine suivante, en championnat, nous étions menés par Liverpool à Highbury. On avait l’impression qu’on pouvait perdre la Premier League aussi. J’ai du avoir des mots très durs à la mi-temps.” Finalement, les Gunners dominent les Reds grâce à un triplé de Thierry Henry et filent vers le titre. Le Français qui a d’ailleurs avoué pour Prime Video que Keown était “un sacré joueur, un gars extraordinaire.” 

Quelques jours après avoir soulevé la Premier League, Keown s’offre son jubilé, à 37 ans, dans un Highbury plein à craquer et baigné par le soleil. La fin de 12 saisons à Arsenal pour l’un des hommes clés de la première décennie Wenger. “Je peux partir satisfait du devoir accompli,” conclut-il simplement. Il finit sa carrière un an plus tard, après deux piges à Leicester et Reading, en Championship. Aujourd’hui consultant en Angleterre, Keown ne rêve finalement que d’une chose, enfin revoir Arsenal remporter la Premier League, près de vingt ans plus tard. Et on a sûrement jamais été aussi proche…

Antoine #AFC 

Propos issus de One of the toughest players ever! | Full Documentary | Martin Keown | Arsenal Legends, sauf mentions. 

 


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